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L’extermination dura deux jours et trois nuits, en vertu de cet ordre du seigneur Tancrède, un des héros catholiques de la croisade : « — Il nous paraît nécessaire de livrer sans délai au glaive les prisonniers et ceux qui se sont rachetés.[1] » — On massacrait les dernières victimes jetées à la foule par Pierre-l’Ermite, lorsqu’une autre bande de croisés accourant de l’extrémité de la rue et se dirigeant vers la grande place, passa en criant : — Les gens de Tancrède pillent la mosquée d’Omar… À sac ! à sac !

— Et nous restons ici à nous amuser aux cadavres ! — crièrent les massacreurs. — Coucou-Piètre avait ses raisons pour nous occuper ici, — dit une autre voix ; — il est ami du chapelain de Tancrède, et ses hommes pillent la mosquée d’Omar. Courons à la mosquée ! À sac ! à sac !

Le torrent de la foule m’emporte, j’arrive sur une place immense pavée de cadavres sarrasins ; car après l’assaut, combattant avec acharnement de rue en rue, ils s’étaient ralliés devant la mosquée, où s’était livré un sanglant et dernier combat. Là, ces héros furent tous tués en défendant le temple, refuge des femmes, des enfants, des vieillards, trop faibles pour combattre, et qui espéraient en la miséricorde et la pitié des vainqueurs. La pitié des croisés, fanatisés par les prêtres catholiques ! ah ! mieux vaudrait implorer la pitié du tigre affamé ! Jugez de l’immensité de ce carnage, jusqu’alors inouï dans l’histoire des carnages. Oui, fils de Joel, jugez de ce massacre par le sang qui a coulé. Voici ce que j’ai vu :

On descend dans la mosquée d’Omar par plusieurs marches de marbre, le sol de cette mosquée se trouve ainsi de trois pieds environ plus bas que le niveau de la place. Le croirez-vous ? les croisés avaient tant, tant et tant égorgé… il avait coulé tant, tant et tant de sang dans ce temple de plus de mille pieds de circonférence, que, baignant les premières marches de l’escalier, ce sang commençait à

  1. Prise de Jérusalem, par Albert, chanoine d’Aix, p. 69.