Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à nos yeux. Cet ami de nos hôtes venait de les instruire de la prise de Jérusalem par les croisés ; le récit des massacres, du pillage, des atrocités sans nom dont les soldats du Christ avaient souillé, déshonoré leur victoire, causaient la consternation du vieil Arabe et de sa compagne ; voulant m’assurer de la réalité, je leur dis d’un ton à la fois triste et interrogatif : Jérusalem ? mais au lieu de me répondre, ils s’éloignèrent brusquement de moi comme s’ils m’eussent enveloppé dans l’horreur que leur inspiraient les croisés. J’échangeais un triste regard avec Jehanne lorsque notre hôte, regrettant sans doute son premier mouvement, revint près de nous, se pencha vers mon fils ; recouché par nous sur sa natte, et le baisa au front. Je compris la délicatesse de ce sentiment, j’en fus ému jusqu’aux larmes… ce vieux Sarrasin me croyait l’un des soldats de cette croisade féroce, impie, et il déposait un baiser de pardon, d’oubli, sur le front innocent de notre enfant ; puis le vieillard sortit avec sa femme.

— Jérusalem est tombée au pouvoir des croisés, — ai-je dit à Jehanne ; — en quelques heures je puis me rendre dans cette ville, j’y veux aller, il n’y a rien à craindre pour moi, attends-moi ici, demain à l’aube je serai de retour.

La douce Jehanne, quoique inquiète de mon départ, ne tenta pas de me retenir ; après l’avoir embrassée, je lui confiai notre petit trésor, la ceinture contenant nos parchemins et nos reliques de famille et je partis pour Jérusalem. À peine arrivé sur la route qui passait à une assez grande distance de notre retraite, je rencontrai une troupe de pèlerins ; ils se hâtaient de se rendre dans la ville sainte, dont nous aperçûmes au loin, après quatre heures de marche, les dômes, les tours, les minarets et les remparts. Cette vaste cité formait un carré long d’une lieue d’étendue ; cette enceinte, dominée au couchant par la haute montagne de Sion, contenait les quatre collines rocheuses sur lesquelles Jérusalem est bâtie en amphithéâtre. À l’orient la colline de Moriah, où s’élevait la mosquée d’Omar, bâtie sur l’emplacement de l’antique temple de Salomon ; du midi