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jour de délivrance, — me disais-je, — je regarderais comme un crime de ne pas tout tenter afin de me trouver en Gaule à l’heure de la révolte et de l’affranchissement ! — J’ai donc, après une pénible hésitation, je l’avoue, refusé l’offre du vieil Arabe.

Le 15 juillet de l’année 1099 (je n’oublierai jamais cette date funèbre), vers le milieu du jour, Colombaïk, appuyé sur sa mère et sur moi, essayait ses forces ; pour la première fois, depuis trente-deux jours, il quittait sa couche, nos hôtes suivaient des yeux avec une tendre sollicitude les mouvements de mon fils ; soudain nous entendons le galop d’un cheval descendant rapidement le versant de la colline qui dominait notre demeure. Le vieux Sarrasin échange quelques paroles avec sa femme, ils sortent précipitamment, et au bout de quelques instants rentrent accompagnés d’un autre musulman à barbe grise et couvert de poussière ; ses traits pâles, bouleversés, exprimaient l’épouvante et le désespoir. D’une voix saccadée, haletante, il s’adressait à nos hôtes ; des linges ensanglantés serrés autour de son bras et de sa cuisse témoignaient de deux blessures récentes. Plusieurs fois, dans l’animation de ses paroles, il répéta le nom de Jérusalem, seul mot que j’entendisse de son langage ; à mesure qu’il parlait, l’effroi, l’indignation, l’horreur, se peignaient sur les traits du vieux Sarrasin et de sa femme, bientôt leurs figures vénérables se couvrant de larmes, ils tombèrent agenouillés en gémissant et levant leurs mains vers le ciel. À ce moment, l’étranger qui, dans sa préoccupation, ne nous avait pas aperçus, nous reconnut à nos vêtements pour des chrétiens, poussa un cri de rage et tira son cimeterre ; mais notre hôte, se relevant, courut à lui, et après quelques mots prononcés d’un ton de reproche amical, le Sarrasin parut regretter son emportement, remit son sabre au fourreau, et échangea quelques paroles avec nos hôtes ; ceux-ci semblaient conjurer cet étranger de rester chez eux ; mais il secoua la tête, pressa leurs mains dans les siennes, sortit, s’élança sur son cheval baigné de sueur, invoqua d’un geste la vengeance du ciel, gravit au galop la pente de la colline et disparut