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rangs, et cinq Sarrasins garrottés se trouvèrent en face de Bohemond et des autres croisés. Parmi les prisonniers, deux, le père et le fils, étaient surtout remarquables, l’un par sa figure noble et calme, encadrée d’une longue barbe blanche ; l’autre par la fière et juvénile beauté de ses traits. Le vieillard, blessé à la tête et au bras pendant l’attaque nocturne, avait déchiré quelques morceaux de son long manteau de laine blanche pour bander ses blessures et celle de son fils ; leurs superbes écharpes de laine de Tyr, leurs cafetans de soie brodés d’or, quoique souillés de sang, de poussière, et mis presque en lambeaux pendant le combat, annonçaient le rang de ces deux chefs. Grâce à un prêtre arménien qui leur servit d’interprète, ils eurent l’entretien suivant avec le prince de Tarente qui, s’adressant au vieillard, lui fit dire : — Tu étais le chef de ces chiens d’infidèles qui, cette nuit, ont tenté de surprendre la ville de Marhala ?

— Oui, Nazaréen ; toi et les tiens vous êtes venus apporter la guerre en notre pays, nous nous défendons.

— Par la croix de mon épée ! vil mécréant, oses-tu douter des droits des soldats du Christ sur la Terre-Sainte ?

— Écoute, Nazaréen : de même que j’ai hérité du cheval et de la tente noire de mon père, la Syrie nous appartient, à nous les fils de ceux qui l’ont conquise sur les Grecs ; notre conquête n’a pas été impitoyable comme la vôtre. Non, lorsque Abubeker-Alwakel, successeur du prophète, a envoyé Yzed-Bèn-Sophian conquérir la Syrie, il lui a dit : — « Toi et tes guerriers, conduisez-vous en hommes dans le combat, mais ne tuez ni les vieillards, ni les infirmes, ni les enfants, ni les femmes ; ne détruisez ni les arbres à fruits ni les moissons, car Allah en fait présent aux hommes. Si vous trouvez des ermites chrétiens dans leurs solitudes, servant Dieu en travaillant de leurs mains, ne leur faites aucun mal ; quant aux prêtres grecs qui, sans soulever les nations contre les nations, honorent Dieu sincèrement dans la foi de Jésus, fils de Marie, nous devons être pour eux un bouclier protecteur, car, sans regarder Jésus comme