Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être rencontré par quelques-uns des convives du duc d’Aquitaine, le serf s’était frotté la figure avec de la suie mélangée de graisse ; ainsi méconnaissable, grâce à son teint devenu non moins brun que celui d’un Maure, il se rendit sur la place du marché ; mais, au lieu de la trouver couverte de revendeurs trafiquant du butin, il vit grand nombre d’hommes travailler en hâte à la construction d’un bûcher, sous la surveillance d’Antonelli, légat du pape, et de plusieurs prélats ; une rangée de soldats, placés à une assez grande distance de ces préparatifs, empêchaient les curieux de s’approcher. Fergan venait de se glisser au premier rang de cette foule lorsqu’un diacre, vêtu de noir, dit à haute voix : « — Y a-t-il parmi vous des hommes robustes qui veuillent gagner deux deniers en aidant à achever promptement ce bûcher ?

— J’aiderai si l’on veut, — répondit Fergan ; car deux deniers étaient bons à gagner, et ce petit profit ménagerait sa bourse.

— Viens, — répondit le prêtre, — tu me parais un vigoureux compère ; les bûches ne pèseront pas plus que des fétus à tes larges épaules — Cinq ou six autres malheureux s’étant offerts pour s’adjoindre à Fergan, le diacre les conduisit au milieu de la place, où, à grand renfort de troncs d’oliviers, de palmiers, de chênes verts et de broussailles desséchées, l’on dressait le bûcher destiné à l’accomplissement du miracle annoncé par Pierre Barthelmy, prêtre marseillais et possesseur de la sainte lance, dont le fer avait percé le flanc du Christ. Ce Barthelmy tirait un gros profit de sa relique en l’exposant, moyennant argent, à la vénération des croisés ; d’autres prêtres, jaloux des recettes du Marseillais, avaient fort médit de sa lance ; il craignit de voir diminuer son pécule, et voulant prouver la vertu divine de sa lance et confondre ses détracteurs, il promit un miracle. Le légat du pape, complice de cette fourberie, s’était chargé d’ordonner et de surveiller la confection du bûcher. Fergan se mit à la besogne avec ardeur, afin de gagner ses deux deniers. Bientôt il remarqua qu’un étroit sentier traversait cet amoncellement de bois,