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ces deux mois passés au service du marquis de Jaffa, nous n’avons fait que deux piètres rencontres ; et encore, dans l’une nous avons été, foi de Trousse-Lard, chaudement étrillés, le tout presque sans profit.

— Mais aussi, comme le Seigneur Dieu protège fort les mignons qui vont délivrer le tombeau de son fils, cette belle curée sarrasine nous attendait ce matin aux portes de Marhala ; notre besogne faite, nous nous plongerons dans cette fontaine qu’ombrage là-bas ce bouquet de dattiers ; grâce à ce bain, nous qui sommes rouges comme des anguilles écorchées, nous redeviendrons blancs comme de petites colombes ; après quoi, n’ayant qu’à choisir parmi ces nippes sarrasines, et notre pochette bien, garnie, nous ferons notre royale entrée dans la plus belle taverne de Marhala.

— Où tu retrouveras peut-être ta reine, servant à boire aux buveurs ?

— Que le ciel t’entende, sénéchal ; et sur ce, vite à l’œuvre : le soleil monte, nous sommes nus et courons risque d’être grillés avant la fin de notre besogne.

— Ce mot grillé me fait penser que ce jeune Sarrasin est dodu et fort en chair. Hein ? À l’occasion, quel régal que les filets de ces larges reins et de ces mollets rebondis, accommodés avec quelques aromates et une pincée de safran ? Te rappelles-tu, entre autres ragoûts, la tête bouillie de ce séide du vieux de la montagne, avec certaine sauce…

— Sénéchal, mon ami, vous êtes trop loquace ; au lieu d’ouvrir sans cesse votre bouche, d’où ne sortent que de vaines paroles, ouvrez donc celle de ce Sarrasin, et peut-être en tombera-t-il beaux besans d’or ou diamants de Bassorah. — Ce fut un spectacle effrayant comme la violation d’un sépulcre, le roi des truands prit la tête du cadavre entre ses genoux, tandis que Trousse-Lard s’efforçait d’entr’ouvrir les mâchoires du mort fortement contractées ; n’y pouvant parvenir, il dit à Corentin : — Ce chien d’infidèle devait rager en expirant, il a les dents serrées comme un étau !

— Et cela t’embarrasse, jeune oison ? Introduis donc entre ses