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— Une juive ! — répétait le duc d’Aquitaine avec terreur, le regard fixe, le front baigné d’une sueur froide, et semblait ne pas entendre, ne pas voir ses compagnons de guerre. — Puis, apercevant le légat du pape, qui restait immobile de frayeur en apprenant l’approche des Sarrasins, Wilhem IX se précipita aux genoux du prélat en s’écriant : — Saint patron, aie pitié de moi, je sais damné !… Azénor-la-Pâle vient de me surprendre avec la reine des ribaudes, et, dans sa rage, Azénor m’a dit : « Je suis juive ; si tu en doutes, fais-toi lire ce parchemin écrit en langue hébraïque. » Saint prélat ! ce parchemin, le voilà., lis-le… Soutiens-moi, protège-moi… Ce coup terrible m’éclaire : j’étais un misérable pécheur… Saint prélat, je me repens, aie pitié de moi… Oh ! Je suis damné !… Une juive !… une juive !…




À l’aube, le soleil se leva sur la plaine qui environne la ville de Marhala, intrépidement attaquée pendant la nuit par les Sarrasins, et valeureusement défendue par les croisés. Les infidèles, plus confiants dans leur audace que dans leur nombre, et enflammés d’un patriotique héroïsme, ont tous succombé dans l’assaut, sauf un petit nombre de prisonniers. Les abords de la brèche des remparts, non loin de la porte d’Agra, par laquelle les Sarrasins ont tenté de surprendre la ville, disparaissent sous des monceaux de cadavres. Déjà des nuées de vautours planent au-dessus de cette abondante curée ; mais ils n’osent encore s’abattre sur elle. Des hommes de proie ont devancé ces oiseaux de proie ; ces hommes sont là, entièrement nus, rouges et dégouttants de sang, hideux, horribles à voir, allant, venant, comme les démons de la mort au milieu de ce champ de carnage. Voici ce qu’ils font, ces pieux soldats du Christ ; voici ce qu’ils font, et ils agissent avec méthode : d’abord ils prennent le corps d’un Sarrasin et le dépouillent de ses habits, dont ils font un paquet ; puis, le cadavre mis à