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coup d’œil le péril, et remarqua que les seigneurs, venus en ce palais pour une nuit d’orgie, n’étaient pas armés. Profitant de leur première surprise, il fit monter sa femme et son fils sur la table du festin, leur recommanda de s’adosser au revêtement de marbre du bassin ; puis, se plaçant devant eux, son gros bâton à la main, il se préparait à une défense désespérée. Voulant cependant tenter un dernier moyen de salut, il dit aux croisés qui allaient l’assaillir : — Par pitié, laissez-moi sortir de ce palais avec ma femme et mon enfant !

— Entendez-vous ce bandit ? — Vite, vite, qu’une colonne lui serve de gibet.

— Vous me pendrez ! — s’écria le serf avec désespoir, — mais plus d’un d’entre vous tombera sous mon bâton ! — Cette menace exaspéra la fureur des croisés. Déjà, bravant le mouvement rapide de la massue de Fergan, qui les dominait du haut de la table où il s’était retranché avec sa femme et son enfant, déjà plusieurs seigneurs s’élançaient pour se saisir du serf, lorsque soudain au loin retentit le bruit des clairons et de ces cris de plus en plus rapprochés : — Aux armes ! voici les Sarrasins ! Aux armes ! aux remparts ! — Et bientôt plusieurs guerriers du duc d’Aquitaine parurent, l’épée à la main, en s’écriant : — Les Sarrasins ont profité de la nuit pour surprendre la ville ! ils viennent de s’introduire près de la porte d’Agra par la brèche que nous avons faite : on se bat sur les remparts ! Aux armes, seigneurs ! aux armes, duc d’Aquitaine ! aux armes ! — À peine ces guerriers venaient-ils de prononcer le nom du duc, qu’au milieu du tumulte croissant causé par l’annonce de cette attaque imprévue, Wilhem IX, ses vêtements en désordre, sortant d’une des chambres donnant sur la galerie, pâle, épouvanté, s’écriait en joignant avec horreur ses mains, dont il tenait un parchemin : — Une juive !… une juive !

— Wilhem, arme-toi ! — lui dirent ses compagnons, en sortant précipitamment avec les guerriers : — les Sarrasins attaquent la ville ! Courons aux remparts ! Aux armes !