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— D’où viennent-elles ?

— Du pays des baisers !

— Wilhem ! ces femmes sont ici, dans ta demeure : tu l’as changée en un lieu de débauche… Ne mens pas… je sais tout !

— Si tu sais tout, chérie, pourquoi m’interroger ?

— Prends garde !… oh ! prends garde !… ne me pousse pas à bout, Wilhem… j’ai l’enfer dans le cœur, c’est trop souffrir ! Misère de moi… ces créatures ici !… sous mes yeux !

— Tu ne verras rien, ma belle, je clorai tes paupières sous mes lèvres ! — À peine le duc d’Aquitaine avait-il ainsi répondu à sa maîtresse avec une insouciance railleuse, qu’il se fit une grande rumeur, causée par l’entrée des femmes. Wilhem IX, échappant à l’étreinte d’Azénor, qui resta pétrifiée de tant d’audace, courut se mêler aux autres seigneurs, pressés à la porte de l’un des appartements intérieurs, d’où sortait une sorte de procession, conduite par la vieille Gertrude ; elles étaient là une vingtaine de femmes : plusieurs d’entre elles avaient appartenu à l’émir de Marhala, d’autres avaient été ramassées dans les tavernes ou sur la place du marché, comme Yolande et Perrette la ribaude. Grâce aux nombreux vêtements tenus en réserve par l’émir pour son sérail, les pupilles de l’entremetteuse étaient splendidement vêtues et parées ; parmi elles on remarquait surtout Perrette et Yolande ; la première, toujours effrontée, provoquante ; la seconde, ne pouvant complétement vaincre la honte qui survivait à sa dégradation. Déjà les croisés, qu’enflammaient l’ivresse et la luxure, acclamaient ce cortége par des cris d’une licence grossière et se disposaient à choisir leur compagne d’orgie, lorsque Gertrude, élevant la voix, s’écria : — Un moment, mes nobles seigneurs, ne vous pressez point de faire votre choix ; tel de vous qui croirait posséder la plus belle de ces colombes amoureuses n’aurait qu’un laideron, en la comparant au diamant, à la perle, au trésor de jeunesse, de grâce et d’appas, que je tiens sous ce voile et qui doit éblouir vos yeux enchantés !