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— l’histoire de dame Capeluche est celle de nos femmes laissées seulettes en nos manoirs ; bien sots sont les jaloux, ou les curieux indiscrets qui se disent, comme le bon sire de Beaugency : Je voudrais savoir ce que fait ma femme à cette heure ! Par Vénus et Bacchus ! ce que je souhaite à nos Capeluches, c’est de se gaudir et de s’ébaudir autant que nous. Holà ! échansons ! écuyers, apportez les dés, les échecs, ma cassette d’or ; sortez ensuite, et dites aux femmes d’entrer ; rien de tel après le festin, que de tenir sa coupe d’une main, ses dés de l’autre et une jolie fille sur ses genoux ; allons, un beau baiser, mon amoureuse, — ajouta Wilhem IX en se penchant vers Azénor, — ce me sera d’un bon présage, tout l’or de mes hôtes passera cette nuit dans mon coffre. Nous allons jouer un jeu d’enfer ; je veux les rendre tous aussi gueux que cette brute sauvage de Neroweg !

— Au jeu ! au jeu ! — crièrent les croisés. — Écuyers, apportez les dés et les échecs, faites entrer les femmes et retirez-vous !

Les ordres du duc d’Aquitaine furent exécutés ; les hommes de sa maison disposèrent sous les galeries, à proximité des divans, de petites tables sarrasines en ivoire sculpté, sur lesquelles ils placèrent des échecs et des dés ; les croisés, selon leurs habitudes de jeu effréné, s’étaient précautionnés de grosses bourses de besans d’or apportées par leurs écuyers. Pendant le tumulte, résultant des apprêts du jeu et du déplacement des seigneurs, qui quittèrent la table pour aller s’étendre sur les divans des galeries, Azénor, les traits bouleversés par les angoisses de la jalousie, saisissant d’une main convulsive le bras du duc d’Aquitaine qui ouvrait en ce moment une cassette remplie d’or, s’écria d’une voix sourde et altérée : — Wilhem ! je t’ai entendu ordonner de faire entrer des femmes ?

— C’est vrai, ma charmante, et tu as entendu les reconnaissantes clameurs de mes hôtes ?

— Quelles sont ces femmes ?

— Des filles de bonne volonté… la joie des convives après le festin !