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sombre, ne quittait pas son amant du regard ; — je crois cette immonde race juive si peu semblable à la nôtre, que tout débauché que je suis, n’y eût-il au monde qu’une femme, et cette femme fût-elle belle… tiens, belle comme Azénor, si elle était juive, elle me rendrait chaste !

— Je pense comme toi, Wilhem, — reprit le seigneur de Hautpoul, tandis qu’Azénor souriait avec une sinistre amertume aux paroles de Wilhem. — Prendre une juive pour maîtresse, c’est commettre un acte de monstrueuse bestialité.

— Bah ! si la bête est jolie, — dit le sire de Sabran en vidant sa coupe ; — et puis, si l’on ignore qu’elle est juive ?

— Si on l’ignore, — reprit gravement le légat du pape, — on peut à la rigueur sauver son âme par la plus austère pénitence ! Mais si l’on commet sciemment cette énormité charnelle, les flammes du bûcher en ce monde, dans l’autre les flammes éternelles, voilà ce qui vous attend !

— Une juive ! — s’écria Wilhem IX, encore excité par les fumées du vin, dans sa stupide et superstitieuse aversion des filles d’Israël, — une juive ! une bête immonde, la trouver jolie !

— Mais, par le diable ! reprit le sire de Sabran, — les juives n’ont ni queue, ni griffes, ni cornes, ni écailles : elles ont comme d’autres un cœur et…

— Mais elles sont juives ! — répéta Wilhem IX avec emportement et interrompant le croisé. — Juive… cela dit tout… Juive ! juive !

— Et moi, — reprit le sire de Sabran en haussant les épaules, — je te dis, Wilhem, que toi, qui ne crois ni à Dieu ni au diable, que toi, homme de gai savoir, dont on chante les vers érotiques et impies, tu parles en fou, quand tu dis qu’une jolie juive n’est pas une jolie femme !

— Sire de Sabran ! — s’écria Wilhem IX les joues emflammées de colère, — tu es ici mon hôte ; mais je te répondrai, moi, que