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— Tais-toi donc, Radulf, rien de plus fastidieux que cette sempiternelle antienne conjugale ! — dit le seigneur de Hautpoul en haussant les épaules. — Ma foi, mes seigneurs, aussi vrai que pendant la disette du siége d’Antioche on payait une tête d’âne dix deniers, je n’ai de ma vie festiné comme cette nuit…

— Parlons de ces disettes, — reprit Bohemond, prince de Tarente, — peut-être ces souvenirs réveilleront-ils notre appétit trop tôt satisfait.

— Moi, — dit le sire de Montmorency, — j’ai mangé mes chaussures, et quoique détrempées dans l’eau et accommodées avec force aromates, elles étaient, je l’avoue, coriaces !

— Savez-vous, mes nobles seigneurs, — dit Gauthier-sans-Avoir, — quels sont les judicieux compères qui n’ont jamais souffert de la famine en Terre-Sainte ?

— Quels sont ceux-là ?

— Le roi des truands et sa bande.

— Pardieu ! ils se nourrissent de Sarrasins, le gibier ne leur manque point !

— Mes seigneurs, — reprit Robert-courte-Hense, duc de Normandie, — il ne faut pas médire de la chair de Sarrasins ; c’est une ressource, j’en ai mangé.

— Moi aussi, sur la route d’Édesse.

— Moi aussi, lors du siége de Tripoli, et l’on s’habitue assez à cette sarrasinade.

— Quant à moi, — dit le sire de Beaugency, — quant à moi, mes seigneurs, je ne m’habitue point à ignorer ce que fait à cette heure ma femme Capeluche.

— Brave Radulf, — lui dit Wilhem IX, — lui as-tu laissé un page et un chapelain, à ta femme Capeluche ?

— Oui, oui, — répondit gravement l’ivrogne, — ma noble dame a pour page le petit Joliet-brin-de-Muguet, et pour chapelain, le père Samson-chaude-Oreille.