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— Certes, et des plus nobles dames rivalisant ainsi avec nous autres pauvres filles nous enlevaient le pain de la bouche, — reprit Perrette en riant aux éclats ; — demande à notre matrone quelles fières pupilles elle avait dans son lupanar de la Croix-du-Salut ! Foi de reine des ribaudes, j’étais toute glorieuse d’avoir ces princesses pour sujettes, en mes états de ribauderie ! Nous autres serves et vilaines, soit, c’est notre sort d’être folles de notre corps. Moi, par exemple, à treize ans le seigneur de Castel-Redon m’a violentée. En ces temps-là mon pauvre Corentin n’avait pas encore nargué le gibet ; alors serf des écuries du château, ce joyeux garçon me plut davantage que notre commun seigneur ; aussi, fuyant le manoir par une belle nuit de mai, nous avons rejoint une bande de serfs, rôdeurs de nuit ; ces bons amis de la lune nichaient le jour, par horreur du soleil, au fond des bois et des cavernes, volant et tuant pour vivre, ni plus ni moins, pardieu, que nos seigneurs ! dès lors Corentin, malgré ses peccadilles, a commencé de narguer le gibet, tant et tant il l’a nargué, que le nom lui en est resté, jusqu’au jour où il fut élu roi des truands et moi reine des ribaudes. Maintenant où es-tu ? ô mon roi, ô mon Corentin !

— Tu l’aimes toujours ?

— Est-ce qu’on n’aime pas toujours son premier amant ?

— Tu dis vrai… — répondit Yolande dont les yeux se remplirent de larmes. — Pauvre Eucher… Ah ! qu’ils étaient beaux nos premiers jours d’amour et de liberté !

— Allons, mes filles ! point de chagrin, — reprit la matrone, — les pleurs enlaidissent ; on va, mes colombes amoureuses, vous conduire aux bains de l’émir ; là sont réunies vos compagnes et quelques-unes des plus belles esclaves sarrasines de ce chien d’infidèle. Mon seigneur le duc d’Aquitaine, dans sa part du pillage de la ville, s’est réservé tous les riches vêtements de femme et tous les parfums de Marhala ; faites-vous donc belles, mes filles, et vive l’amour !

À ce moment une vieille femme, qui avait déjà introduit dans la