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les regards de ces agonisants ! Tel est le spectacle qui s’offre à la vue de Karvel et de sa femme au moment où ils s’approchent du brasier. Le Parfait s’arrête, se tourne vers le balcon où trônent Montfort, sa femme et les prélats ; puis, le visage rayonnant d’une inspiration prophétique, il s’écrie :

— Prêtres catholiques ! je vous le dis en vérité : vous vous croyez triomphants ! et les horreurs de votre croisade en Gaule porteront tôt ou tard à l’église de Rome un coup mortel ; oui, de cette fournaise où nous allons périr, l’hérésie, qui n’est que la liberté civile et religieuse, renaîtra bientôt plus radieuse que jamais pour éclairer les peuples de sa lumière divine et féconde ! Je vous le dis, oh ! prêtres catholiques : la foi évangélique s’est retirée de vous, elle est désormais avec nous, elle y restera impérissable comme la vérité ! À vous autres, il reste la force… la force… éphémère comme ce bûcher qui, ce soir, ne sera plus que cendres !

L’abbé Reynier, en se levant furieux. — Qu’on arrache la langue de ce misérable hérétique ! Il n’a déjà que trop blasphémé pour la perdition des âmes !

Les bourreaux s’emparent de Karvel ; le roi des ribauds saisit dans son fourreau de petites tenailles de fer, à manche de bois, rougies au feu, et tandis que ses aides contiennent le Parfait, il lui arrache précipitamment, à défaut de la langue, quelques lambeaux des lèvres ; Morise, à ce spectacle, ferme les yeux et s’élance dans la fournaise, où tombe aussi bientôt le corps de son mari, évanoui ensuite de la torture qu’il a subie. Il ne reste, des hérétiques condamnés au bûcher, que la dame de Lavaur et son fils ; au moment où l’on va les traîner vers le fossé, Giraude se jette à genoux devant le balcon où elle vient d’apercevoir Alix de Montmorency, et, les mains jointes, s’écrie d’une voix palpitante de terreur : — Madame ! je ne vous demande pas la vie, mais j’ai peur pour mon fils du supplice du feu… Ces cris… Oh !… ces cris qui sortent de ce fossé… Tenez… les entendez-vous ?… C’est affreux ! Oh ! madame, par pitié obtenez de votre époux qu’on