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Giraude ne quitte pas son enfant du regard, elle le couve des yeux, on lit sur les traits angéliques de cette mère au désespoir, qu’insoucieuse de son sort, elle songe avec terreur au supplice atroce qui attend Aloys ; il devine la préoccupation de sa mère et tâche de lui sourire ; Karvel et sa femme, le front serein, s’avancent d’un pas ferme. Cependant, à l’aspect du tableau qui s’offre à lui dès son entrée dans l’esplanade, le Parfait s’arrête et tressaille d’horreur ; à gauche se dressent les quatre-vingts potences, attendant de nouvelles victimes ; à droite sont étendus autour de l’échafaud les corps de ceux qui, morts ou agonisants, n’ont pu résister aux tortures de l’aveuglement. Enfin, au delà de ces potences et de ces cadavres, des lueurs ardentes s’échappent du fossé, immense brasier avivé par la lente combustion de la chair, de la graisse, des entrailles et des os des hérétiques ; il s’exhale de cette longue tranchée, semblable au cratère d’un volcan, des tourbillons de vapeur noire, épaisse, nauséabonde, qui voile au loin l’horizon ; de temps à autre cette fétide et sombre nuée est soudain illuminée par une colonne de flammes et d’étincelles qui jaillissent de quelque portion du bûcher non encore consumé… Mais ce que nul ne pourrait exprimer, c’est le mélange de gémissements, de cris, de hurlements sans nom, qui s’échappent de cette fournaise où ont été précipités plus de cinq cents créatures de Dieu… Les unes ont déjà succombé ; d’autres expirent ; d’autres, les dernières jetées dans le gouffre embrasé, sont encore vivantes… c’est comme un pêle-mêle, comme un fouillis de corps, de troncs, de têtes, de membres, d’ossements noircis, saignants, à demi brûlés, calcinés ; au milieu de cet entassement de débris humains, disparaissant à demi dans la cendre, la braise ou la fumée, on voit encore quelques survivants dont les vêtements ont d’abord pris feu ; ce sont des bras, des jambes qui s’agitent, des bustes qui se dressent et se tordent convulsivement, des têtes dont la chevelure flambe, dont les traits se crispent, et dont le regard… Oh ! non, fils de Joel… non, aucune langue humaine ne pourrait vous peindre