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— Tu plaisantes, ma mie ; il n’y a point de roi à la croisade.

— Vous oubliez le Roi des Truands.

— Quoi ! le chef de ces bandits ? de ces écorcheurs ? de ces mangeurs de chair humaine ?

— Lui-même ; mais avant qu’il fût Roi des truands, je l’aimais déjà sous le modeste nom de Corentin-nargue-Gibet. Hélas ! qu’est-il devenu ?

— Tu l’as donc quitté ?

— Un jour j’ai dérogé… Oui, moi, Reine des ribaudes, j’ai délaissé le roi des truands pour un duc.

— Un duc des gueux ?

— Non, non, un vrai duc, le plus beau des ducs, Wilhelm IX !

— Le duc d’Aquitaine ?

— Oui. C’était à Antioche, après le siége, Wilhem IX passait à cheval sur la place ; il m’a souri en me tendant la main, j’ai mis mon pied sur le bout de sa bottine, d’un saut, je me suis assise sur le devant de sa selle, il m’a emmenée dans son palais ; et là… vive l’amour et le vin de Chypre ! — Puis, semblant se rappeler un souvenir, Perrette se mit à rire aux éclats.

— De quoi ris-tu ? — lui dit la mégère ; — quelque bon tour ?

— Jugez-en. Vous savez l’horreur du duc d’Aquitaine pour les juives ?

— À qui le dis-tu ! Un jour, à Édesse, croyant au goût de Wilhelm IX pour le fruit défendu, je lui parlais d’une petite juive de quinze ans que je gardais dans un réduit secret, car si elle eût été connue comme juive on me l’aurait brûlée ; imagine-toi qu’à ma proposition de juiverie le duc a failli m’étrangler !

— L’histoire a couru dans Édesse ; c’est ainsi que j’ai su l’horreur de Wilhelm IX pour les filles d’Israël… Or donc, ce jour-là même où il m’emmenait sur son cheval, vient à passer en litière une très-belle femme ; à sa vue, mon débauché, oubliant qu’il m’emmène, tourne bride et suit la litière ; moi, craignant qu’il me plante en che-