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tonne ? tu me crois un homme féroce ? Eh ! mon Dieu ! il en doit être ainsi, tu n’as pas la foi. Sinon tu comprendrais que j’agis, au contraire, avec humanité.

Karvel. — En faisant brûler, massacrer les hérétiques ?

Montfort. — Certainement.

Karvel. — Explique-toi.

Montfort. — Écoute, et à mon tour je te dirai : réponds sincèrement. Tu as une femme, une mère, des enfants, des amis, tu les aimes tendrement ? Il existe dans ton pays une province, foyer permanent d’une contagion mortelle qui menace d’envahir les contrées voisines, d’atteindre ta famille, tes amis, la population tout entière ? Réponds : hésiteras-tu un instant à purifier ce coin de terre par le fer et par le feu ? Dis, au nom même de cette humanité dont tu parles, hésiteras-tu à sacrifier mille, vingt mille, cent mille pestiférés pour sauver des millions d’hommes de cette incurable pestilence ? Non, non, tu frapperas toujours et toujours ! et ton bras ne s’arrêtera que lorsque le dernier de ces exécrables empestés aura vécu, emportant avec lui dans la tombe le dernier germe de cette effroyable maladie, et tu auras fait acte de haute humanité. Veux-tu un autre exemple ? Vois ce sang fétide, corrompu, que tout à l’heure tu as tiré de mes veines pour le salut de mon corps ? Irai-je te reprocher d’être sanguinaire ? Non, et pourtant tu oses m’accuser de férocité, parce que comme toi j’ai recours à l’effusion d’un sang infecté d’hérésie, lorsqu’il s’agit, non plus de cette périssable et immonde vie du corps, mais de l’impérissable vie de l’âme que l’impiété peut damner à jamais, en plongeant ses victimes dans les flammes de Satan ! Va, crois-moi ! ils sont vraiment miséricordieux devant le Seigneur et devant les hommes, ceux-là qui, pour empêcher l’éternelle damnation de millions de leurs frères, ont accepté la mission sainte, trois fois sainte, d’extirper par le fer et par le feu jusqu’à la dernière racine de cette épouvantable hérésie qui menace d’envahir la Gaule entière !

Karvel a écouté Montfort en silence et avec une émotion crois-