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La ville de Marhala, comme toutes les villes d’Orient, était traversée par des rues étroites, tortueuses, bordées d’habitations blanchies à la chaux et percées de rares petites fenêtres ; çà et là, le dôme d’une mosquée ou la cime d’un palmier, planté au milieu d’une cour intérieure, rompaient l’uniformité des lignes droites formées par les terrasses qui surmontaient toutes les maisons. Depuis quinze jours environ, la ville de Marhala, après un siége meurtrier, était tombée au pouvoir de l’armée des croisés, commandée par Bohemond, prince de Tarente ; les remparts de la cité, à demi démantelés par les machines de guerre, n’offraient en plusieurs endroits que des monceaux de ruines, d’où s’échappait une odeur pestilentielle causée par la putréfaction des corps des Sarrasins héroïquement ensevelis sous les décombres de leurs murailles. La porte d’Agra avait été l’un des points les plus vivement attaqués par une colonne de croisés, sous les ordres de Wilhelm IX, duc d’Aquitaine, et le plus vaillamment défendu par la garnison ; non loin de cette porte s’élevait le palais de l’émir de Marhala, tué lors du siége de la ville. Wilhelm IX, selon la coutume des croisades, avait, après la victoire, fait arborer sa bannière au-dessus de la porte de ce palais, dont il prit ainsi possession.

Le jour allait bientôt toucher à sa fin ; assise dans une des salles basses du palais de l’émir, Gertrude, grande vieille femme ridée, au nez crochu, au menton saillant, vêtue d’une longue pelisse sarrasine provenant du pillage, se tenait accroupie sur une sorte de divan très-bas garni de coussins. Elle venait de dire à une personne invisible : — Fais entrer cette créature.

La créature entra ; c’était Perrette-la-Ribaude, la maîtresse de Corentin-nargue-Gibet, en compagnie de qui elle avait quitté la Gaule pour venir en Palestine. Le teint de la jeune fille, brûlé par le soleil, rendait plus éclatante encore la blancheur de ses dents, le corail de ses lèvres, le feu de ses regards ; l’expression de sa jolie mine était toujours d’une joyeuse effronterie, son costume dépenaillé