la belle vaisselle d’argent dont je me suis emparé lors du sac de Beziers, et qui sont dans mes bagages, me semblent préférables à tous les domaines de l’Albigeois. L’on n’emporte avec soi ni terres, ni châteaux, et les chances de la guerre sont hasardeuses ; mais, ces chances, j’espère n’avoir plus à les craindre le 10 de ce mois.
Hugues de Lascy. — Pourquoi cette date ?
Lambert de Limoux. — Le lendemain de cette date expirent pour moi les quarante jours de croisade que tout croisé doit à la guerre sainte, à partir du moment où il a mis le pied sur la terre hérétique, après quoi il reprend avec ses hommes le chemin de son manoir ; c’est ce que je me propose de faire bientôt… Hé ! hé ! sais-tu que ces quarante jours de croisade auront été pour moi des plus productifs ? D’abord, je me trouve absous de tous mes péchés présents et passés… J’ai fait peau neuve ; ce n’est pas tout : peu de temps avant mon départ j’avais emprunté à un riche lombard de Blois une forte somme à grosse usure ; or, en ma qualité de croisé, je ne dois aucun intérêt à mon coquin de marchand pour l’argent qu’il m’a prêté… La lettre du pape Innocent III le déclare formellement. Enfin, grâce à ma part du butin de Beziers, je pourrai rembourser le capital de ma dette ; je n’ai donc plus grand’chose à gagner en Languedoc ; aussi, je te le répète, mes quarante jours de croisade expirés, je m’en retourne fort allègrement en Touraine, très-décidé à prier d’amour la belle Marphise, la reine de beauté de notre cour d’amour, car je t’avouerai qu’avant mon départ…
La confidence de l’ex-Conservateur des hauts privilèges d’amour est interrompue par l’un des écuyers de Montfort, qui sort en courant d’une chambre voisine.
Hugues de Lascy, à l’écuyer. — Où courez-vous ainsi ?
L’écuyer. — Ah ! messire, monseigneur le comte est dans un grand péril.
Hugues de Lascy.— Mais, tout à l’heure il dormait profondément ?
L’écuyer. — Il vient de se réveiller en proie à une suffocation