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saisissait de sa massue, Jehanne se cramponnant à son bras lui dit avec épouvante : — Entends-tu ce bruit qui s’élève ?… il approche… il gronde comme le tonnerre.

— Père ! — s’écria Colombaïk non moins terrifié que Jehanne, — regarde donc ! le ciel est rouge comme du sang !

Le serf leva les yeux et, frappé d’un spectacle étrange, effrayant, il oublia Neroweg VI. L’orbe du soleil, déjà près de l’horizon, était énorme et d’un pourpre éclatant ; ses rayons disparaissaient de moment en moment au milieu d’une brume ardente qu’il illuminait d’un feu sombre, dont les reflets colorèrent soudain le désert et l’espace. On aurait cru voir cette scène terrible à travers la transparence d’une vitre tintée de rouge cuivré. Un vent furieux, encore lointain, balayant le désert, apportait avec ses mugissements sourds et prolongés une bise aussi brûlante que l’exhalaison d’une fournaise ; des volées de vautours fuyant à tire d’aile devant l’ouragan rasaient le sol, où bientôt ils s’abattaient et y restaient immobiles, palpitants, et poussant des glapissements plaintifs. Soudain, le soleil, de plus en plus obscurci, disparut sous un immense nuage de sable rougeâtre qui, voilant le désert et le ciel, s’avançait avec la rapidité de la foudre, chassant devant lui des chacals, des lions ; hurlant d’épouvante, ils passèrent effarés à quelques pas de Fergan et de sa famille. — Nous sommes perdus ! — s’écria le carrier ; — c’est une trombe ! — À peine le serf eut-il prononcé ces paroles désespérées qu’il se trouva enveloppé de ce tourbillon de sable, fin comme la cendre, épais comme le brouillard ; le sol mobile creusé, fouillé, bouleversé par la force irrésistible de la trombe, tournoya, s’abîma sous les pieds de Fergan, qui disparut avec sa femme et son fils sous une vague de sable, car l’ouragan sillonnait, labourait, soulevait les sables du désert comme la tempête sillonne, laboure, soulève les eaux de l’Océan !