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puis, le serf renouant sa ceinture, s’écria : — Et maintenant, justice et vengeance, Neroweg ! je t’ai accusé, jugé, condamné, tu vas mourir. — Et cherchant des yeux son gros bâton noueux, il ramassa bientôt cette massue, et la saisit de ses deux mains robustes au moment où sa femme et son fils criaient : — Grâce ! — mais le serf s’élançant sur le seigneur de Plouernel, lui mit un pied sur la poitrine en disant à Jehanne d’une voix terrible : — Non, pas de grâce ! Les Neroweg ont-ils fait grâce à mon aïeul, à Bezenecq-le-Riche et à sa fille ? — Le carrier leva sa massue au-dessus de la tête de Pire-qu’un-Loup, qui, grinçant des dents, affrontait la mort sans pâlir… C’en était fait du seigneur de Plouernel si Jehanne n’eût embrassé les genoux de son mari en s’écriant d’une voix suppliante : — Fais-lui grâce pour l’amour de ton fils… Hélas ! sans l’eau que tu as prise à Pire-qu’un-Loup, Colombaïk expirait de soif dans ce désert !

Fergan céda aux prières de sa femme, il répugnait, malgré la justice de ses représailles, à tuer un ennemi désarmé ; il jeta donc son bâton loin de lui, resta un moment sombre et silencieux, et dit à son seigneur : — Écoute, on dit que malgré vos forfaits, toi et tes pareils, vous restez parfois entre vous fidèles à vos serments ; jure-moi sur le salut de ton âme et par ta foi de chevalier de respecter dès ce moment la vie de ma femme, de mon enfant et la mienne. Je ne te crains pas tant que nous serons seul à seul dans ce désert ; mais si je te retrouve à Marhala ou à Jérusalem, parmi les autres seigneurs de la croisade, moi et les miens nous serons à ta merci. Jure-moi donc de respecter notre vie, je te fais grâce et te délivre de tes liens.

— Un serment à toi, vil serf ! souiller ma parole en te la donnant ? — s’écria Neroweg VI ; et il ajouta avec un éclat de rire sardonique : — Autant donner ma parole de catholique et de chevalier à l’âne de bât ou au bœuf de labour !

— Ah ! c’en est trop ! — s’écria Fergan exaspéré en courant ramasser son bâton, qu’il avait jeté loin de lui ; — par les os de mes pères ! tu vas mourir, Neroweg ! — Mais au moment où le serf se