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(Souriant.) Mais sais-tu que je serais tenté de te reprocher d’avoir fait de nous des épouvantails de vertu et causé ainsi l’effroi de ce pauvre homme !

Peau-d’Oie, à ce moment, pousse un si prodigieux ronflement, qu’il en est lui-même réveillé en sursaut ; il se frotte les yeux et roule autour de lui un regard effaré, puis, se levant brusquement en reprenant son air grave, il dit à Morise avec une affectation de langage courtois : — Que notre compatissante hôtesse me fasse l’aumône de sa miséricorde pour l’énorme incongruité de mon sommeil ; mais depuis Blois nous voyageons jour et nuit, et ma fatigue est grande. D’ailleurs, le sommeil, en cela qu’il endort les vils et méprisables appétits terrestres, le sommeil est en soi une manière de vertu, car…

Mylio, l’interrompant. — Chère sœur Morise, ce gros homme vous vante la vertueuse innocence du sommeil, en cela qu’il endort les appétits terrestres ? Eh bien, ce même gros homme qui vous parle ainsi a failli m’étrangler un jour parce que je l’éveillais au milieu d’un rêve succulent où, après avoir vu combattre Carême contre Mardi-Gras, armés, l’un de poissons, l’autre de saucissons, il s’apprêtait à dévorer le vainqueur, le vaincu et leurs armes.

Peau-d’oie, d’un ton de reproche piteux à son compagnon de voyage en voyant rire Karvel et sa femme. — Ah ! Mylio !…

Mylio. — Donc, il est entendu que mon ami Peau-d’Oie que je vous présente est un peu gourmand, un peu ivrogne…

Peau-d’oie. — Moi, justes dieux !

Mylio. — Et aussi un peu menteur, un peu tapageur, un peu poltron, un peu libertin, un peu bavard !…

Peau-d’oie, d’un air contrit. — Ah ! mes respectables hôtes ! ne croyez pas ce méchant railleur.

Mylio. — Après cette confession, que la modestie retenait sur les lèvres de mon ami, j’ajouterai : mais il a bon cœur, il partage son morceau de pain avec qui a faim, son pot de vin avec qui a soif ; et