Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Gaule de prêcher une croisade contre les hérétiques du Languedoc.

Aimery, riant. — Une croisade ! Est-ce que ces tonsurés prennent notre pays pour la Terre-Sainte ?

Mylio. — Oui, et à cette heure ils déchaînent contre vos heureuses et libres provinces les haines fanatiques, les cupidités sauvages qu’ils ont, jadis, déchaînées contre les Sarrasins ; oui, pour pousser les seigneurs et les peuples à l’invasion de ce pays, le pape leur donne d’avance les terres, les richesses des hérétiques, et, par surcroît, il leur promet, comme d’habitude, le paradis.

Aimery, regardant sa sœur. — C’est à ne pas le croire ! Est-ce assez de rage sanguinaire ?

La dame de Lavaur. — Non, non… une pareille démence est impossible ! D’où viendrait tant de haine contre nous autres hérétiques, ainsi que l’on nous appelle ? L’Église catholique ne conserve-t-elle pas, en Languedoc, ses églises, ses domaines, ses évêques, ses moines, ses prêtres ? Les a-t-on jamais empêchés dans l’exercice de leur culte ? Quoi ! une croisade contre nous ? parce que nous pratiquons simplement, selon notre foi, l’évangélique morale de Jésus ! Une croisade contre nous ? parce que notre cœur et notre raison repoussent cette odieuse fable du péché originel, qui frappe d’anathème, jusque dans le sein maternel, un enfant encore à naître ! Une croisade contre nous ? parce que nous sourions de la prétention de ces prêtres qui, se disant les infaillibles représentants de Dieu sur la terre, affirment que s’ils ne baptisent pas notre enfant nouveau-né, l’innocente créature sera damnée ; que s’ils ne consacrent pas le mariage de nos fiancés, leur lien est criminel ; et qu’enfin, si nous ne mourons pas entre les mains de ces prêtres catholiques, en leur donnant large part de nos biens, nous allons droit en enfer ! Une croisade contre nous ? parce que nous préférons nos Parfaits, de dignes pasteurs comme vous, Karvel, qui, laborieux, austères, pratiquent et enseignent, au milieu des saintes joies de la famille, la