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combattez d’une main vigoureuse, impitoyable, les hérétiques, en leur faisant plus rude guerre qu’aux Sarrasins, car ils sont pires ; et que les catholiques orthodoxes soient établis dans tous les domaines des hérétiques[1]. »

Ces derniers mots de la lettre du pape Innocent III redoublent le religieux enthousiasme de l’auditoire. Ces nobles hommes ont souvent entendu parler des industrieux habitants du midi de la Gaule, enrichis par leurs relations commerciales, qui embrassent l’Orient, la Grèce, l’Italie et l’Espagne, et possesseurs d’un sol fertile, admirablement cultivé, qui abonde en vin, en grain, en huile, en bétail. La conquête de cette nouvelle et véritable terre promise est facile ; il s’agit d’un voyage de cent cinquante lieues au plus. Qu’est-ce que cela pour ces rudes batailleurs, dont grand nombre sont allés guerroyer en Terre-Sainte ? La prédication de l’abbé Reynier obtient donc le plus heureux résultat ; les femmes, ravies d’être débarrassées de la présence de leurs époux et espérant avoir leur part des dépouilles du Languedoc, excitent ces preux chevaliers à se croiser de nouveau, et sur-le-champ, contre les hérétiques. N’ont-ils pas, ces ensabbattés, sans prétendre imposer leur loi aux autres provinces, aboli chez eux ces plantureux priviléges grâce auxquels les nobles dames du nord de la Gaule vivent dans le luxe, les plaisirs, l’oisiveté, le libertinage, sans autre souci que de faire l’amour ? Aussi, songeant à la contagion possible d’une pareille pestilence, et se voyant réduites, par la pensée, elles, nobles dames, à vivre modestement, laborieusement, de leurs travaux, comme des vilaines ou des bourgeoises, elles crient plus fort encore que leurs époux : — Aux armes ! mort aux hérétiques ! — La Cour des doux engagements se sépare au milieu d’une vive agitation, et la plupart des chevaliers, depuis le Baillif de la joie des joies jusqu’au Sénéchal des Marjolaines, vont, ces pieux croyants, faire leurs préparatifs de départ pour la croisade en Languedoc.



  1. Lettre d’Innocent III, L. N., 10 mars 1208, p. 317, X.