Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plusieurs nobles voix. — Les misérables ! — les hypocrites !

L’abbé Reynier. — Le Languedoc, ce fertile pays qui regorge de richesses, est dans une situation effroyable : les prêtres catholiques y sont méprisés, conspués ; l’autorité royale y est à peine connue ; la seigneurie est non moins abaissée que l’Église, et, chose énorme, inouïe ! cette seigneurie est presque entièrement infectée elle-même de cette monstrueuse hérésie ; les seigneurs des villes, partout effacés par les magistrats populaires et perdant toute dignité, se confondent avec le menu peuple ; le servage, en ce pays, n’existe plus, la noblesse fait valoir ses terres pêle-mêle avec ses métayers. L’on a vu, le croirez-vous ? l’on a vu des comtes, des vicomtes, se livrer au commerce comme des bourgeois et s’enrichir par le négoce ! Que dis-je ? horrible sacrilége ! la noblesse s’allie parfois à des juives, filles d’opulents trafiquants !

Plusieurs nobles voix. — C’est la honte, c’est l’abomination de la chrétienté ! — cela crie vengeance !

L’abbé Reynier. — C’est à la fois une honte et un terrrible danger, mes frères. Je vous l’ai dit, l’hérésie gagne de proche en proche ; si elle triomphe, c’est fait de l’Église, du trône et des seigneuries, le populaire perd la terreur salutaire que nous lui imposons, alors adieu nos droits, nos biens, nos richesses, qui nous font la vie facile, oisive, heureuse, et il faut nous résigner à vivre de notre travail comme les serfs, les manants et les bourgeois !

Plusieurs nobles voix. — C’est la fin du monde ! le chaos ! — Il faut en finir avec ces infâmes hérétiques ! — les exterminer tous !

L’abbé Reynier. — Pour en finir, il faut commencer, mes frères, et d’abord écraser l’hérésie, ce nid de vipères ; mouvons une croisade impitoyable contre le Languedoc ! Une telle guerre ne sera qu’un jeu pour tant d’hommes vaillants qui sont allés en Terre-Sainte combattre les Sarrasins.

Les onze croisés, tous d’une voix. — Sang du Christ ! arrivés au-