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chinalement leurs épées à leur côté ; mais ils siégent désarmés, selon les us de la cour d’amour. Marphise recommande le silence, et dit au trouvère d’une voix majestueuse et indignée : — Malheureux ! tu as l’audace d’insulter ces tribunaux augustes fondés par toute la Gaule pour propager les lois de la belle galanterie !

— Et de la grandissime ribauderie et puterie ! — s’écrie une petite voix flûtée en interrompant Marphise ; c’est Peau-d’Oie qui, pour lancer ces mots incongrus, a déguisé son organe et s’est traîtreusement caché derrière un massif de feuillage, auquel s’adosse un jeune page placé près de l’entrée du prétoire, non loin du Sénéchal des marjolaines. Ce dignitaire, furieux, se retourne, saisit le jouvenceau par le collet, tandis que Peau-d’Oie, quittant son abri, s’écrie, enflant encore sa grosse voix : — L’insolent drôle ! de quel lupanar sort-il donc, pour se montrer si outrageusement embouché au vis-à-vis de ces nobles dames ? Il faut le chasser d’ici et sur l’heure, seigneur Sénéchal des marjolaines. Corbœuf ! chassons-le… expulsons-le de céans !

Le pauvre page, abasourdi, cramoisi, ahuri, veut en vain balbutier quelques mots pour sa défense ; il est battu par la foule indignée. Aussi, pour échapper à de nouveaux horions, il s’enfuit éperdu vers l’allée du canal ; la vive agitation, soulevée par cet incident, se calme enfin.

Marphise, avec dignité. — Je ne sais quels mots infâmes ont été prononcés par ce misérable page, ivre, sans doute, du vin qu’il avait dérobé à son maître ; mais, en vertu du poids de leur lourde grossièreté, ces viles paroles, retombées dans la fange d’où elles sont sorties, n’ont pu monter jusqu’au pur éther d’amour où nous planons ! (Un murmure approbateur accueille la réponse extrêmement éthérée de Marphise, qui continue, s’adressant à Mylio.) Quoi ! tu as cent fois répété sur ta harpe les arrêts du tribunal de Cythère, et tu viens l’insulter ! Oublies-tu que, seuls, tes chants ont abaissé la barrière infranchissable qui s’élevait entre toi et les nobles compagnies