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Mylio, se baissant vivement. — Je connais cette voix… — (Il écarte le capuchon qui cache les traits du vaincu et s’écrie :) — L’abbé Reynier !

Peau-d’oie, faisant un brusque mouvement qui arrache au moine un gémissement plaintif. — Un abbé ! j’ai pour couche un abbé ! Corbœuf ! si je m’endors, je rêverai de friandes nonnettes !

Mylio, au moine. — Ah ! ah ! dom ribaud ! mordu par votre luxurieux appétit, vous n’avez pu sans doute attendre à demain pour manger ce savoureux plat de friture dont vous me parliez hier ? oui, la faim vous pressant, vous alliez cette nuit même vous introduire chez cette infâme Chaillotte, certain qu’elle vous servirait à toute heure un plat de son honnête métier ! Ah ! ah ! messire Priape ! vous voici comme un renard pris sous l’assommoir !

Peau-d’oie. — J’étais caché dans l’ombre, j’ai vu ce dom ribaud s’avancer vers la charmille, se préparer à l’escalader ; alors, en vrai César, j’ai fondu sur lui et j’y fonds encore… car, je suis en nage… en eau…

L’abbé Reynier, gémissant toujours sous le poids de Peau-d’Oie. — Ah ! vils jongleurs ! il fera jour demain ! vous payerez cher vos outrages…

Mylio. — Tu dis vrai, Reynier, abbé supérieur des moines de Cîteaux de l’abbaye de Saint-Victor ! oui, demain il fera jour, et ce jour éclairera ta honte… Oh ! je le sais, vous autres tonsurés, forts de votre hypocrisie, de votre toute-puissance et de l’hébétement des sots, vous terrifiez les simples et les poltrons ; mais mon vaillant ami Peau-d’Oie et moi nous ne sommes ni poltrons ni simples, nous aussi, nous avons notre puissance ! Or, retiens ceci, dom ribaud : si tu as l’audace de vouloir nous causer quelque dommage pour l’aventure de cette nuit, nous la mettons en chanson ; Peau-d’Oie pour les tavernes, moi pour les châteaux, et pardieu ! d’un bout à l’autre de la Gaule on chantera le Lai de « Reynier, abbé de Cîteaux, allant de nuit manger une friture chez Chaillotte la meunière. »