Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peau-d’oie, gravement. — En me promettant de la remplir, tu me fermes la bouche.

Mylio. — Veux-tu me rendre un service ?

Peau-d’oie. — Je suis glouton, ivrogne, joueur, libertin, menteur, tapageur, bavard, poltron ! mais, corbœuf ! je ne suis point ingrat ; jamais je n’oublierai que toi, Mylio, le brillant et célèbre trouvère, dont la harpe fait les délices des châteaux, tu as souvent partagé ta bourse avec le vieux Peau-d’Oie-le-Jongleur, dont l’humble vielle n’égaye que les tavernes hantées par les vagabonds, les serfs et les ribaudes ! non, jamais je n’oublierai ta générosité, Mylio, et je te jure de toujours compter sur elle…

Mylio. — Ne sommes-nous pas confrères en la gaie science ? Ta joyeuse vielle, qui met en liesse les pauvres gens et leur fait un moment oublier leurs misères, ne vaut-elle pas ma harpe, qui amuse l’oisiveté libertine ou blasée des nobles dames ? Ne parlons pas des services que je t’ai rendus, mon vieil ami ; écoute-moi, je…

Peau-d’oie, l’interrompant. — En m’assistant, tu as fait plus que ton devoir.

Mylio. — Soit ! mais je…

Peau-d’oie, d’un ton solennel. — … Lorsque Dieu créa le monde, il y plaça trois espèces d’hommes : les nobles, les prêtres et les serfs ; aux nobles il donna la terre, aux prêtres les biens des sots, et aux serfs de robustes bras pour travailler sans merci ni relâche au profit des nobles et des prêtres.

Mylio.— Bien dit ; mais laisse-moi t’apprendre ce que…

Peau-d’oie. — … Les lots ainsi faits par le Tout-Puissant, il restait à pourvoir deux classes intéressantes entre toutes : les jongleurs et les ribaudes ; le seigneur Dieu chargea les prêtres de nourrir les ribaudes, et les nobles de nourrir les jongleurs, Donc ce n’est point à toi, qui n’es pas noble, de partager ta bourse avec moi… donc tu fais plus que ton devoir ; donc ceux qui manquent à leur mission