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tribunal, à cette fin de s’y entendre juger et condamner, selon l’énormité de ses crimes !

Ursine, avec énergie. — Non, non ! faisons-nous justice nous-mêmes ! la cour peut, en raison de certaines circonstances, se montrer d’une coupable indulgence envers ce monstre !

Un grand nombre de voix. — Ursine a raison. — Faisons-nous justice nous-mêmes ! -- Vengeance ! vengeance !

La chanoinesse, avec onction. — Chères sœurs, avant la rigueur, que n’essayons-nous de la persuasion ? Laissez-moi emmener Mylio loin d’un monde corrupteur, dans quelque profonde solitude, et là, si Dieu m’accorde sa grâce, j’espère amener le coupable à la repentance de ses fautes passées et à la pratique d’une fidélité exemplaire.

Ursine. — Ouais, ma mie ? afin qu’il la pratique avec vous, sans doute, cette fidélité exemplaire ? Voyez-vous la bonne âme ? Non, non, ce scélérat nous a indignement trompées : justice et vengeance !

Toutes les voix, moins celle de la miséricordieuse Chanoinesse, demandent, comme la comtesse Ursine : justice et vengeance.

Marphise. — Mes amies, nous serons vengées ! Ce félon, ce soir même, m’a donné rendez-vous ici, au lever de la lune… voici le soleil couché, restons toutes céans ; Mylio entrera dans le verger me croyant seule, et nous le tiendrons en notre pouvoir…

La proposition de Marphise est acceptée tout d’une voix, et au milieu des récriminations et des imprécations de toutes sortes, on entend l’endiablée comtesse Ursine prononcer d’une voix courroucée les noms du chanoine Fulbert et d’Abeilard !




La nuit est venue, les étoiles brillent au ciel, la lune n’est pas encore levée ; au lieu du riant verger de la marquise d’Ariol, vous voyez une des dernières maisons de Blois, et non loin de là un chêne touffu, à l’abri duquel dort sur le gazon un gros homme ; on le prendrait pour Silène, s’il n’était vêtu d’un vieux surcot de drap brun