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ajouta Fergan d’un air sombre, — bientôt il n’aura besoin ni de provisions ni de monture ! — Et se relevant tandis que sa femme et son fils suivaient ses mouvements d’un œil inquiet, le serf se rapprocha de son seigneur ; celui-ci, toujours étendu sur le sable, parfois se tordait dans ses liens, qu’il tâchait en vain de rompre, puis anéanti par ces vains efforts, il restait immobile. — Me reconnais-tu ? — dit le carrier en croisant ses bras sur sa poitrine et baissant les yeux sur le comte de Plouernel garrotté à ses pieds ; — me reconnais-tu ?… En Gaule, tu étais mon seigneur, j’étais ton serf.

— Toi, scélérat !

— Oui ; je suis le petit-fils de Den-Braô-le-maçon, que ton aïeul Neroweg IV a fait périr de faim dans le souterrain de ton donjon de Plouernel… je suis parent de Bezenecq-le-Riche, mort dans les tortures sous les yeux de sa fille devenue folle d’épouvante ! elle a pendant un moment retrouvé sa raison, et m’a dit sa longue agonie, celle de son père, et puis elle est morte… j’ai creusé sa fosse au milieu des roches qui avoisinent l’issue du passage secret de ton château.

— Par le tombeau du Sauveur ! c’est donc toi, truand, qui t’es introduit dans la tourelle d’Azenor-la-Pâle ?

— Oui, pour y chercher mon fils, cet enfant que tu vois là ; un de tes hommes l’avait enlevé pour le livrer au couteau de ta sorcière !

— Oh ! malheur à moi ! j’ai perdu au jeu jusqu’à mon épée, qui m’eût fait justice de ce bandit ! malheur à moi ! j’ai tout perdu, tout ! Je ne pouvais plus nourrir mes hommes d’armes, ils m’ont abandonné… me voici seul dans ce désert, à la merci de ce vil serf… Malheur à moi ! pourquoi faut-il que ce chien ait survécu à ce long voyage ?

— J’ai survécu pour venger sur toi le mal que tu as fait aux miens ! Oh ! ce n’est pas la première fois qu’un fils de Joel-le-Gaulois se rencontre avec un descendant de Neroweg-le-Frank… déjà tes aïeux et les miens se sont rencontrés dans le courant des siècles passés… Le destin l’a voulu ! c’est une guerre à mort entre nos deux