Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lesquels ils croient pouvoir l’emporter. — Ils courent les places publiques, les marchés, les tribunaux ; ils ne fuient pas les danses ; — s’il y a une noce, ils s’empressent de s’y rendre ; — ce n’est pas là, je crois, ce que leur enseignent Baruch et Michée. — Ils se répandent ensuite dans les provinces, — bénissent les méchants, damnent les bons, — et celui qui leur offre le plus splendide festin est regardé comme le plus digne. — Quand ils imposent des pénitences à ceux qu’ils confessent, — ils flattent et absolvent ceux qu’ils devraient punir, — puis ils punissent ceux qu’ils devraient absoudre, — et quand ils le peuvent, ils leur arrachent de l’argent. »




Terminons ces citations par un fragment relatif aux mœurs conjugales de l’époque.

Chanson contre le mariage.

(Chant onzième)

« On peut dire heureux le mari d’une bonne femme, — mais à peine en peut-on citer une ; — elle sera revêche on adultère, — et ne pourra souffrir la supériorité de son mari. — Les bonnes épouses sont bien rares, — à peine une sur mille. — Un homme mauvais est encore meilleur qu’une bonne femme. — Une femme se livre à tout amant, — vaincue elle fait rendre les armes à son vainqueur. — Ses désirs sont un feu qui dévore, — aussi court-elle après une foule d’amants. — Voyez le nombre des femmes adultères ; — la plupart s’ennuient de voir vivre leurs maris ; — si elles sont de haute naissance, elles chercheront à opprimer leur époux ; — s’il résiste, elles lui donnent des poisons à boire, — et pour lui communiquer la lèpre — elles se livreraient à un lépreux ! »




Ces chants sont des satires ? direz-vous, chers lecteurs ? Oui, ce sont des satires, moins éloquentes sans doute que celles de Juvénal, de Pétrone ou de Martial, mais peignant comme elles la dépravation des mœurs du temps, et les débauches, l’avidité ou la cruauté du clergé. Ne fallait-il pas que l’indignation du poëte s’appuyât sur un sentiment bien profond des réalités, pour qu’elles osât se manifester si énergiquement en ces jours où l’Église, toute puissante, faisait trembler les peuples et les rois ?

Donc, chers lecteurs, les textes que nous avons cités, ceux que par réserve nous n’avons pu reproduire ici, mais qu’il vous est facile de consulter, vous convaincront que tout en tâchant de rester dans les bornes du respect qui vous est dû, il nous a fallu, nous le répétons, reproduire l’un des caractères les plus saisissants de ce siècle, où un fanatisme féroce s’alliait dans les habitudes de la noblesse à une débauche effrénée ; car l’épisode de la Cour d’amour, qui commence le suivant récit, n’est que le prologue de cette monstruosité dont seront à jamais ensanglantées les pages de notre histoire : — La Croisade contre les hérétiques Albigeois, — seconde partie de notre narration.

Quelques mots sur cette guerre sainte, dont le journal officiel de M. de Montalembert et du parti clérical nous annonçait, vous l’avez vu, il y a quelques mois, le recommencement possible.

La politique de l’Église catholique, inaugurée par les croisades en Palestine, continue au treizième siècle, de porter ses fruits ; après avoir poussé le peuple et les rois à aller exterminer les infidèles en Terre-Sainte, les papes de Rome prêchent la croisade contre les hérétiques de la Gaule ; Innocent iii, d’exécrable mémoire, monte sur le trône pontifical au moment où les scandales et les rapines du clergé ont soulevé de dégoût et d’horreur les honnêtes gens de tous pays ; l’esprit de réforme, d’indépendance et d’examen dont nous vous avons signalé la renaissance aux onzième et douzième siècles, continue ses progrès ; les yeux s’ouvrent enfin à la lumière après des siècles de ténèbres, d’idolâtrie et de superstition ; Innocent III comprend que si cet esprit d’examen basé sur la raison, la dignité, la conscience et la liberté humaine progresse encore, c’est fait de la domination absolue de l’Église et des privilèges exorbitants dont jouissent les prêtres ; aussi dans sa haine impitoyable contre tout système qui attaque sa divine et infaillible autorité, Innocent III, détruisant l’équilibre politique de l’Italie et de l’Allemagne, menaçant tour à tour les rois d’Espagne, de France et d’Angleterre, traitant en vassaux les rois de Bohême, de Hongrie, de Bulgarie, de Norvége et d’Arménie, ordonnant aux croisés de détruire l’empire grec à Constantinople et d’y substituer l’empire de Rome, Innocent III n’a qu’un but : écraser dans leur sang tous ceux qui osent penser autrement que l’Église. Ce pape trouve en Gaule de puissants et terribles moyens d’action dans la cupidité des seigneurs, et dans leur haine implacable contre la bourgeoisie, alors en voie de s’affranchir de l’oppression féodale ; ce fut donc avec une joie féroce que la noblesse répondit à l’appel du pape, lorsqu’il la convia, au nom du Sauveur du monde, à l’extermination des hérétiques du Languedoc et au pillage de cette industrieuse et riche province alors en possession des libertés communales les plus étendues, les plus républicaines, ainsi que le démontre un éminent historien ; nous citons :

« Au commencement du XIIIe siècle, les principales villes du Midi de la France étaient toutes gouvernées par des magistrats de leur choix, en nombre variable ou temporaire, qui prenaient principalement le titre de Consuls, et dont la réunion se nommait le ConsulatL’intérêt et l’esprit démocratique avaient partout triomphé, la domination féodale avait été partout vaincue, certaines villes, comme Avignon, Arles, Nîmes, Tarascon, pleinement affranchies des seigneurs féodaux, s’étaient érigées en