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rebelles ou soumis. — Jamais on n’avait vu une telle perversité, — jamais on ne vit tant d’infamies — que dans ces hommes — qui se montrent revêtus de l’habit religieux.

» Ils outragent ainsi l’Église qui se trouve enveloppée dans leurs méchantes œuvres. — Ils portent l’habit menteur de la religion, — quand dans leur cœur habite la férocité des loups ; — ils ont un langage plus doux que l’huile, — et trompent tout le monde admirablement ; — comme le serpent est caché dans l’herbe, — ainsi le venin se cache dans leur langage. — Ils ne parlent que de paix avec le prochain — et le mal couve dans leur cœur perfide ; — dans l’Évangile, Dieu nous engage à nous mettre en garde contre ces trompeurs. — Ils s’abstiennent de nourriture, ils meurtrissent leurs corps, se maigrissent le visage, — afin, sous cette apparence, de recevoir les louanges et les présents. — Désormais on peut penser que l’antéchrist est sur terre — quand on voit ainsi l’Église aller peu à peu à sa honte et à sa ruine. » (Vol. 2, p. 19 et suiv.)

Satire sur l’état du monde.

(Chant huitième)

« Les serviteurs de l’époux vendent la dot de l’épouse. — Les prêtres dérobent les viandes de la marmite, — et si vous regardez avec soin, — vous verrez de nouveaux Iscariotes — vendre aujourd’hui J.-C. — Dans quel climat, sous quel signe du ciel — trouverez-vous un abbé, un prélat au cœur bienveillant ? — qui soit digne des noces du Christ, digne du bois de la Vie ? — C’est un oiseau rare sur la terre, — oiseau aussi rare qu’un cygne noir. — Tous, l’esprit souillé par l’avarice, placent dans l’argent l’espoir de leur salut ; — ils prétendent qu’ils ne veulent point être accusés d’une folle prodigalité. — Ils déguisent chaque vice sous l’apparence d’une vertu. — C’est des prélats que découlent des fleuves de vices, — et cependant ce sont les pauvres qui sont punis. — Ainsi se vérifie le vers du poëte profane : — Les rois commettent des fautes, ce sont les Grecs qui les expient. — Un prêtre obtient, moyennant finances, une paroisse d’un prélat, — c’est un vrai contrat de mariage, — car si l’argent manque, si la bourse est plate, — le prélat lui signifiera un acte de répudiation. — En agissant ainsi, prélats, — vous désespérez du bonheur de la vie future ; — rappelez-vous ce vers de Lucain : — Êtes-vous prêts, partez ; tout retard est funeste. »

Satire contre les prélats

(Chant neuvième)

(Par Gaultier de Châtillon.)

« Où sont-ils ces hommes qui gouvernent l’Église d’après les lois du Christ ? — et dont les jours se comptent par les bienfaits ? — Où voyons-nous des prélats donner des exemples qui fassent la joie et le bonheur des peuples ? — Non, les prélats refusent toute consolation à leurs subordonnés, — et quand les guerres ravagent tout le monde, — ils ne veulent pas s’offrir pour les fils d’Israël et faire régner la paix sur la terre. — Au milieu du tourbillon de la guerre, ils n’ont pas confiance en Dieu, — ils craignent ceux qui tuent le corps, — tous s’appuient sur les trésors, — et malgré leur faiblesse, ils écrasent les hommes forts et courageux. — Au dehors, ils se revêtent de l’habit du pasteur ; — mais ils n’ont jamais pris part au repas spirituel, — n’ayant pas chez eux de robe nuptiale. — Toutes leurs actions ont un but mercenaire. — Ils sont gonflées d’orgueil à cause de leur puissance et ne sont point affectés de la misère des pauvres. — C’est sur ceux-ci que tombe la sévérité du juge, — quand éclate une tempête dans son canton. — Tous sont adonnés à l’avarice, — leur voix chante les psaumes, — mais dans leur cœur, il n’y a que trafic. — Puisqu’ils ne pensent point aux ordres de Dieu, — est-ce que leur langage n’est point un péché ? — La vieillesse a couvert leur tête de cheveux blancs, — mais ils ont conservé toute la licence de la jeunesse. — La conscience chargée de crimes, ils chassent les autres du sentier de la vertu. — Nous savons que parmi eux, il en est qui n’admettent pas de déesses, mais qui aiment les dieux[1] ; — tous ceux qui se seront rendus coupables de ce crime trouveront dans le ciel un juge pour les punir. — Ils ont un troupeau, mais c’est pour s’engraisser eux-mêmes. — Rarement ils sont fléchis par les prières des humbles, — au contraire, ils les gouvernent avec orgueil. — Puisse leur orgueil à leur tour être confondu !

»… Les prélats excitent des guerres, des désastres, des séditions entre le peuple, les soldats, les rois et les barons. — De là naissent ces querelles qui portent les nations à s’entre-détruire. — Les peuples détruisent les peuples, — le riche égorge le pauvre, et le pauvre, le puissant. — Le père trahit son fils, le fils trahit son père. — On ne trouverait pas un frère qui aime son frère. — La guerre ravage maintenant les quatre parties du monde. — Il n’y a de repos ni sur la mer, ni sur les fleuves, ni sur la terre. — Tout homme est en fureur et prend les armes, — le fléau de la discorde croît chaque jour. — Tout l’univers est enveloppé dans le carnage, — de tous côtés triomphe le glaive ; — le vassal se souille du sang de son maître — et l’hôte n’est point en sûreté contre son hôte. — On pourrait traiter les prélats de mimes, de jongleurs, de fourbes, — ils méprisent tous ceux sur

  1. Allusion à un vice infâme alors fréquent parmi les membres du clergé.