Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre Laon. Mon père, le maire, les échevins, et plusieurs des nôtres, fidèles à leur serment de défendre la commune jusqu’à la mort, voulurent s’opposer à l’entrée du roi, coururent aux remparts ; dans cette dernière bataille, grand nombre de communiers furent blessés ou laissés pour mort. Mon père fut tué ; je reçus deux blessures ; notre défaite était inévitable. Louis-le-Gros s’empara de la ville et la soumit à la seigneurie d’un nouvel évêque ; mais, selon les prévisions de mon père, grâce au souvenir de notre insurrection et de nos légitimes représailles, les droits exorbitants de l’évêque et des nobles furent modifiés. Je ne devais pas jouir de cet adoucissement au sort de nos concitoyens. Moi, et plusieurs des plus compromis dans l’insurrection, nous fûmes bannis et dépouillés du peu que nous possédions ; d’autres furent suppliciés. Ces vengeances atteignirent aussi le maire et les échevins. À peine remis de mes blessures, je quittai Laon avec ma femme, quelques jours après la mort de ma mère, qui survécut peu de temps à mon père. Martine et moi nous avions pour toute ressource six pièces d’or, soustraites à l’avidité des gens du roi ; je portais dans un bissac quelques vêtements et les reliques de notre famille. Un de mes amis avait un parent maître tanneur à Toulouse, en Languedoc ; il me donna une lettre pour lui, le priant de m’employer comme artisan. Après de nombreuses traverses nous sommes arrivés sains et saufs à Toulouse, où maître Urbain le tanneur nous accueillit avec bonté ; il m’employa lorsque j’eus fait mes preuves de bon artisan. Ma douce et chère Martine, se résignant courageusement à son sort, devint filaresse de soie, l’un des principaux commerces du Midi avec l’Italie étant le tissage de la soie, que les Lombards apportent dans ce pays-ci. Fidèle aux enseignements de mon père, je supporte fermement ma mauvaise fortune, plein de foi dans l’avenir et consolé par cette pensée : que du moins, grâce à notre insurrection, mes concitoyens de Laon, quoique retombés sous le joug de la seigneurie épiscopale, sont moins malheureux qu’ils ne l’eussent été sans notre révolte. Et d’ailleurs, béni soit le ciel !