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contre Louis-le-Gros. Thomas de Marle, n’osant affronter la puissance du roi, refusa de lui déclarer la guerre, mais consentit, moyennant argent, à recevoir sur ses terres ceux des habitants qui redouteraient la vengeance royale. Grand nombre d’insurgés, prévoyant les suites d’une lutte contre la royauté, acceptèrent l’offre de Thomas de Marle, et, emportant leurs objets les plus précieux, quittèrent Laon avec leurs femmes et leurs enfants ; d’autres, mon père fut de ce nombre, préférèrent rester dans la ville et se défendre contre le roi jusqu’à la mort. Quoique le nombre des communiers fût réduit par la migration de beaucoup d’entre eux dans les pays voisins, les habitants de Laon, généreux et crédules, avaient accepté les propositions pacifiques des Épiscopaux, consternés de leur défaite ; mais lorsque ceux-ci virent une grande partie des nôtres abandonner la cité, ils s’enhardirent, et, donnant rendez-vous aux serfs des possessions de l’abbaye pour l’un des jours de marché, ils attaquèrent les communiers dans leurs maisons, et massacrèrent tous ceux qui tombèrent entre leurs mains. La guerre civile se ralluma, on se battit de rue en rue ; les serfs pillèrent et incendièrent les maisons des bourgeois dont ils purent s’emparer. Mon père, moi, ma mère et ma femme, retranchés avec nos apprentis dans notre demeure, heureusement fortifiée, nous avons plusieurs fois soutenu de véritables siéges. Durant ces troubles, qui décimaient nos rangs, Louis-le-Gros rassemblait ses forces. Apprenant que Thomas de Marle donnait refuge sur ses terres à des habitants de Laon, il marcha d’abord contre ce seigneur, ravagea ses domaines, l’assiégea dans sa forteresse de Coucy, le fit prisonnier et lui imposa une forte rançon. Quant aux gens de notre commune, trouvés sur les terres de Thomas de Marle, le roi des Français les fit tous égorger ou pendre, et leurs corps servirent de pâture aux oiseaux de proie. Un riche boucher de Laon, ami de mon père, nommé Robert-le-Mangeur, fut attaché à la queue d’un cheval fougueux et périt de la mort affreuse de la reine Brunehaut ; ces sanglantes exécutions terminées, Louis-le-Gros marcha