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— J’y pensais, — répondit le carrier ; — mais je suis plus robuste que toi, et c’est moi qui vais… — Le serf s’interrompit en entendant soudain le bruit d’un grand battement d’ailes au-dessus de sa tête ; puis il sentit l’air agité autour de lui, leva les yeux et vit un énorme vautour brun, au cou et au crâne dépouillés de plumes, s’abattre pesamment sur le cadavre de l’enfant nouveau-né couché sur le sable à côté des cadavres de son père et de sa mère, saisir ce petit corps entre ses serres, puis, emportant sa proie, s’élever dans l’espace en poussant un cri prolongé. Jehanne et son mari, un moment distraits de leurs angoisses, suivaient d’un regard épouvanté le vol circulaire du vautour, lorsqu’au loin le serf aperçut se dirigeant de son côté un pèlerin monté sur un âne.

— Fergan, — disait Jehanne au carrier dont le regard ne quitta plus le pèlerin, qui se rapprochait de plus en plus, — Fergan, affaibli comme tu l’es, si tu donnes ton sang pour notre enfant, tu mourras peut-être ? je ne te survivrai pas ; alors, qui protégera Colombaïk ? Tu es encore capable de marcher, de le prendre sur ton dos ; moi, je suis hors d’état de continuer notre route, mes pieds saignants refusent de me porter, laisse-moi me sacrifier pour notre fils ; ensuite, tu me creuseras une fosse dans le sable, j’ai peur d’être mangé par les vautours.

Fergan, au lieu de répondre à sa femme, s’écria : — Jehanne, étends-toi à terre, ne bouge pas, fais la morte comme je vais faire le mort… nous sommes sauvés ! — Ce disant, le serf se coucha sur le ventre à côté de sa femme. Déjà l’on entendait la respiration haletante de l’âne du pèlerin qui s’approchait ; l’animal, harassé, cheminait lentement, péniblement, enfonçant dans le sable jusqu’aux genoux ; son maître, homme d’une haute et robuste stature, était vêtu d’une robe brune déguenillée, ceinte d’une corde, et tombant jusqu’à ses pieds chaussés de sandales ; afin de se garantir contre l’ardeur du soleil, il avait relevé sur sa tête en manière de capuchon la pèlerine de sa robe, parsemée de plusieurs coquilles, la croix d’étoffe rouge des