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sans, — quant à cela, ces manches seront moins doux à la main que ces fines peaux de chevreaux que nous tannons pour les gants brodés des nobles dames.

— L’ornement d’une pique, c’est son fer ! — reprit Colombaïk ; — mais ces ornements, le petit Robin-Brise-Miche, l’apprenti forgeron, tarde beaucoup à nous les apporter ; il n’en est pourtant pas de lui comme du petit gindre de notre ami le talmelier, il n’y a pas à craindre que Robin grignote sa marchandise en route. — Les jeunes garçons se prirent à rire de la plaisanterie de Colombaïk ; mais, ayant par hasard tourné les yeux vers Jehanne et Martine, il fut frappé de l’inquiétude croissante peinte sur leurs traits. — Ma bonne mère, si ma gaieté vous afflige, — dit-il à Jehanne d’une voix tendre et pénétrée ; — pardonnez-la-moi… et toi aussi, Martine.

— Hélas ! mon enfant, — répondit tristement Jehanne, — des hommes qui apprêtent des armes et des femmes qui préparent des linges pour le pansement des blessés, n’est-ce pas toujours un spectacle navrant ?

— Et quand on songe, — reprit Martine sans pouvoir retenir ses larmes, — qu’un père, un fils, un mari, seront peut-être parmi les blessés ! Ah ! maudits soient ceux-là qui veulent la guerre dans cette ville, si heureuse depuis trois ans !

— Chère Martine, et vous, bonne mère, écoutez-moi, — reprit Colombaïk afin de rassurer les deux femmes — se préparer à la guerre ce n’est pas la faire, mais il est prudent de se tenir sur ses gardes.

— Ton père ! enfin… voilà ton père ! — dit vivement Jehanne en entendant frapper à la porte de la maison, et elle se leva, ainsi que Martine, tandis que l’un des jeunes apprentis courait ouvrir ; mais l’attente des deux femmes fut déçue. Elles entendirent une voix enfantine s’écrier joyeusement : — Ça brûle !… ça brûle !… qui veut des nieules ?… ça brûle !… — Et Robin-Brise-Miche, l’apprenti forgeron, garçonnet de douze à treize ans, à la mine éveillée, mais