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— Ah ! c’eût été dommage ! La belle fille ! je croyais voir vivre ma Diane antique, et son marbre blanc se changer en chair rose ! J’ai fait des vers sur cette métamorphose ; je veux te les dire !

— Pas un mot de plus, Wilhelm ! — reprit Azenor d’une voix altérée ; — tu es sans pitié… tu me mets au supplice !

— Jalouse… tu me laisseras du moins regretter et chanter mon autre Diane… celle de marbre ? Hélas ! pour subvenir aux dépenses de ma croisade, j’ai vendu ce chef-d’œuvre de l’art grec et trois de mes seigneuries à l’évêque de Poitiers ! Il ne saura l’apprécier, ma belle Diane ! il n’a souci des femmes… de marbre, ce vieux satyre !

— Grand impudique ! oses-tu blâmer l’incontinence ?

— Non, par Dieu ! l’incontinence ne m’a-t-elle pas conduit en Terre-Sainte ? mon pèlerinage est tout d’amour. À d’autres la conquête du saint sépulcre ! Moi, mieux avisé, j’ai conquis des Germaines, des Saxonnes, des Bohêmes, des Hongroises, des Valaques, des Moldaques, des Bulgares, des Grecques, des Bysantines, des Sarrasines, des Syriennes, des Mauresques, des négresses, et ce n’est pas tout, ô Vénus ! j’en ai fait vœu par tes colombes libertines ! je veux entrer à Jérusalem pour y conquérir la plus belle vierge de cette cité des anges !

— Audace et débauche ! c’est à moi, Azenor, à moi qu’il dit cela !

— Je vais calmer ton courroux, ma belle ; écoute-moi sans te fâcher : je buvais, vois-tu, de tous les vins sans aucune préférence avant de connaître le vin de Chypre ; mais lorsque je l’ai eu goûté, plus je buvais des autres vins, plus ma préférence augmentait pour ce divin nectar, oui, comparaison et souvenir me ramenaient toujours à lui ! Ainsi comparaison et souvenir m’ont toujours ramené vers toi, ma charmante, depuis ce jour fortuné où, quittant Poitiers pour aller à la croisade, je t’ai vue venir à moi sur la route me disant : — « Je t’aime ! Veux-tu de moi ? Je te suis. »

— Ainsi, sur cette terre, il n’est pas une femme, une seule que