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différence, mon Dieu ! depuis que nous vivons en Commune ! nous sommes si libres, si heureux ! — Puis, Martine ajouta en soupirant : — Ah ! je regrette que mon pauvre père n’ait pas été témoin de ce changement ! ses derniers moments n’eussent pas été attristés par l’inquiétude que lui causait notre avenir. Hélas ! en voyant les terribles violences exercées en ce temps-là par l’évêque Gaudry et par les nobles sur les habitants de Laon, violences qui pouvaient nous atteindre, comme tant d’autres de nos voisins, mon père avait toujours présent à la pensée le terrible sort de mon oncle Bezenecq-le-Riche et de sa fille Isoline !

— Rassure-toi, ma femme, — reprit Colombaïk ; — tu l’as dit, ces temps maudits ne reviendront pas ! non ! non ! Aujourd’hui la vieille Gaule se couvre de communes libres, de même qu’il y a trois cents ans elle se couvrait de châteaux féodaux ; les communes sont nos forteresses, à nous ! notre tour du beffroi est notre donjon ; nous n’avons plus à craindre les seigneurs !

— Ah ! Martine, ma douce fille, — dit Jehanne avec émotion à la femme de Colombaïk, — plus heureuses que nous, vous autres jeunes femmes, vous ne verrez pas vos enfants, vos maris, endurer les horreurs du servage ?

— Oui, nous sommes affranchis, nous autres artisans et bourgeois des cités, — reprit Fergan d’un air pensif ; — mais le servage pèse aussi cruellement que par le passé sur les serfs des champs ! aussi ai-je vainement combattu de tout mon pouvoir cette clause de notre charte qui exclut de notre commune les serfs habitant au dehors de la ville, ou ceux qui ne possèdent pas de quoi y bâtir une maison ; n’est-ce pas les exclure que d’exiger pour leur admission le consentement de leurs seigneurs ou une somme suffisante pour bâtir une maison dans la cité, eux qui ne possèdent que leurs bras ! Et cette seule richesse de l’homme laborieux en vaut bien une autre, pourtant ! — Puis s’adressant à Martine : — Ah ! le père de ton père et de Bezenecq-le-Riche parlait en homme généreux et sensé lorsque,