un grand chien de Palestine, si notre beau sire a toutefois conservé de quoi payer une si fière monture ! Dis, ma belle sorcière, quels magiciens que les dés et les échecs ! En une nuit ils font un truand d’un seigneur, et un seigneur d’un truand ! Pour moi, quant au jeu, je ne me plains que d’une chose : de mon bonheur constant ; j’aime tant l’inconstance !
— Je le sais, Wilhelm ; aussi, comme toi, je me plains de mon bonheur.
— De ton bonheur… au jeu ?
— Non, non. Je suis à toi, le rêve de ma jeunesse s’est accompli, et pourtant ce bonheur inespéré cause mon tourment !
— Aurais-tu des remords ? Folie ! nous sommes en Terre-Sainte ! tous nos péchés nous sont remis, donc péchons, ma belle, péchons beaucoup ! péchons partout ! péchons sans cesse !
— Tu prêches d’exemple, Wilhelm, — reprit Azenor-la-Pâle avec une jalouse amertume ; — ton caprice insolent et banal est, comme ton amour, insoucieux du choix ! Peu t’importe à toi : damoiselle ou serve déguenillée ! noble dame ou ribaude !
— Azenor, celui dont nous allons délivrer le sépulcre n’a-t-il pas dit : « Les premiers seront les derniers ! » Or donc, en bon chrétien, j’aime parfois, en amour, à faire des dernières les premières !
— C’est ainsi que cette infâme Perrette-la-Ribaude…
— N’en médis pas ! — reprit Wilhelm IX en riant et interrompant Azenor dont la voix se courrouçait. — Quelle joyeuse et hardie commère que cette Perrette ! elle était sans pareille dans une orgie ! Il fallait la voir après le siège d’Antioche, la coupe en main, la chevelure au vent !
— Tais-toi, Wilhelm ! je te hais !…
— Pauvre Ribaude !… comme tant d’autres, elle sera morte en route…
— Tant pis… car j’aurais voulu l’étrangler de mes propres mains ; oui, et ta Yolande aussi !