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ment des croisades, qui continuait malgré la prise de Jérusalem par les Turcs, voyait chaque jour augmenter ses misères, forcée qu’elle était de pourvoir, par un redoublement d’écrasant labeur, aux besoins toujours croissants des seigneurs. Les bourgeois et les habitants des cités, plus unis, plus à même de se compter, et surtout plus éclairés que les serfs des campagnes, s’étaient, depuis quelques années, dans un grand nombre de villes, révoltés en armes contre leurs seigneurs laïques ou ecclésiastiques, et, à force de bravoure, d’énergie, d’opiniâtreté, ils avaient, au prix de leur sang, recouvré leur indépendance et exigé l’abolition de ces droits honteux, horribles, dont la féodalité jouissait depuis longtemps. Un petit nombre de cités, sans recourir aux armes, avaient, grâce à de grands sacrifices pécuniaires, acheté leur affranchissement en se rédimant des droits seigneuriaux à prix d’argent. Ainsi délivrés de leur séculaire et cruelle servitude, les populations des cités fêtaient avec enthousiasme toutes les circonstances qui se rattachaient à leur émancipation. Aussi le 15 avril 1112, les bourgeois, marchands et artisans de la ville de Laon, étaient dès l’aube en liesse ; d’un côté à l’autre des rues, voisins et voisines s’appelaient par les fenêtres, échangeant de joyeuses paroles : — Eh bien ! compère, — disait l’un, — le voici venu ce beau jour de l’inauguration de notre hôtel communal et de notre Beffroi ?

— Ne m’en parlez pas, mon voisin, je n’ai pas dormi de la nuit ; ma femme, moi et mes enfants, nous avons veillé jusqu’à trois heures du matin pour fourbir mon casque de fer et mon jaque de mailles ; notre milice armée donnera un grand lustre à la cérémonie.

— Et la marche de nos corporations d’artisans sera non moins superbe ! Croiriez-vous, voisin, que moi, qui n’ai, vous le pensez bien, dans mon métier de charpentier tenu de ma vie une aiguille, j’ai aidé ma femme à coudre les franges de notre bannière neuve.

— Dieu merci ! le temps sera beau pour la cérémonie. Voyez comme l’aurore est claire et brillante.

— Un beau temps ne pouvait manquer à une si belle fête ! Vertu