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pendant plus d’un siècle, jusqu’à l’heure où, nous l’avons dit, le pouvoir absolu des rois, s’établissant sur les ruines de la féodalité, ils abolirent la plupart des franchises communales ; mais certaines franchises conquises par l’insurrection demeurèrent acquises aux villes, et après avoir vaillamment lutté contre les seigneuries, les peuples luttèrent contre l’Église et contre la royauté, lui arrachant toujours, et toujours par la force, une à une, ces concessions, ces réformes, desquelles s’est formé à travers les âges le faisceau de nos libertés civiles, religieuses et politiques.

Et maintenant, chers lecteurs, ne serez-vous pas frappés comme nous de la profonde ressemblance qui existe entre le présent et le passé ? Rapprochement dont ressort un grand enseignement, un grand exemple. Ainsi, nous aussi en 1851, nous avons une charte républicaine, une constitution jurée, proclamée, librement consentie par les représentants de l’universalité des citoyens ; nous espérions voir le repos, la prospérité publique, succéder aux discordes ; nous espérions voir la lutte pacifique, légale du scrutin, mettre fin aux guerres civiles, aux révolutions désastreuses, mais rendues inévitables par l’aveuglement du pouvoir. Nous aussi, comme nos pères du douzième siècle, nous demandons, nous voulons, nous exigeons l’accomplissement de la foi jurée, rien de plus, rien de moins ; et pourtant chaque jour à nous aussi, une réaction insensée prodigue les menaces, les outrages, les défis ; nous aussi, nous voyons ceux-là qui devraient les premiers donner l’exemple du respect pour notre Constitution, l’insulter, la renier chaque jour ; nous aussi, nous voyons le parti prêtre s’allier comme toujours à nos ennemis de tous les temps ; nous aussi peut-être, nous verrons des parjures, des renégats, passant de la menace à l’action, déchirer notre charte républicaine et prétendre nous imposer la monarchie… Alors, en ce moment décisif, solennel, que les enseignements de l’histoire ne soient pas perdus pour nous, rappelons-nous l’exemple héroïque de nos pères du douzième siècle : comme eux, nous avons pour nous la loi, le droit, la justice, comme eux, courons aux armes ! Quel que soit le sort que l’avenir nous réserve, vainqueurs ou vaincus, nous aurons accompli un grand devoir, et si trahis par la fortune, dans cette lutte suprême et sainte, nous y trouvons la proscription ou la mort…, le cœur plein de foi dans le progrès infini de notre cause, écrit à chaque page de l’histoire, le front serein, bravons l’exil, bravons la mort, et un jour peut-être nos noms obscurs éveilleront cette pieuse émotion dont on se sent pénétré en prononçant les noms de ces proscrits du douzième siècle, dont vous allez lire l’histoire…

EUGÈNE SUE,...............................
Représentant du Peuple....................

Aux Bordes, 8 septembre 1851.