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laisser languir des lèvres qui demandent un frais breuvage ou un chaud baiser !

— Seigneur duc, je vais chercher le breuvage, charge-toi du baiser, — répondit l’aventurier en se dirigeant vers les bagages, tandis que, penché sur son cheval, le duc d’Aquitaine avança la tête sous les rideaux de la litière.

— Oh ! Wilhelm, — dit bientôt la voix passionnée d’Azenor, — jadis mes lèvres étaient blanches et glacées ; le feu de tes baisers les a rendues vermeilles !

— Cela prouve que je suis non moins sorcier que toi, ma belle sorcière !

— Ne m’appelle pas ainsi… tu me rappelles des jours horribles… À cette pensée, la haine me monte au cœur et la honte au front !

— Pourquoi la honte ? Tu as feint d’être magicienne dans l’espoir d’abuser cette brute sauvage de Neroweg, qui, après t’avoir violentée, te gardait prisonnière… Tu voulais t’échapper de ses mains et te venger en lui donnant un philtre empoisonné, le tour était pardieu fort bon ; ne t’ai-je pas dit que moi, seigneur suzerain de cet ours, de ce loup, j’ai parfois eu l’envie d’aller l’enfumer dans sa tanière, ce noir donjon de Plouernel où il t’a retenue captive ! Foi de chevalier ! j’espérais même, en l’honneur de tes beaux yeux, ma charmante, rompre ici quelques lances avec lui ; mais je n’ai pu le rencontrer. D’ailleurs, les dés se sont chargés de ta vengeance : n’avons-nous pas dernièrement appris qu’à peine débarqué de Marseille à Joppé, le comte de Plouernel, tout frais venu des Gaules, avait en une nuit de jeu contre d’autres seigneurs forcenés joueurs, perdu cinq mille besans d’or, sa vaisselle, ses bagages, ses chevaux, ses armes, tout enfin, jusqu’à son épée ! Ah ! ah ! — ajouta le duc d’Aquitaine en riant aux éclats, — il me semble voir ce Neroweg, si rudement étrillé au début de sa croisade, l’achever avec un vieux bonnet pour casque, un bâton pour lance, et pour coursier un âne, un bouc ou