Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un, Gomer, mon grand-père, vit avec douleur et indignation cet abaissement de la Bretagne. Gomer était marin ; établi au port de Vannes comme Albinik, l’un de nos ancêtres qui, par point d’honneur, épargna la flotte de César, Gomer naviguant sur toute la côte, faisait souvent les voyages d’Angleterre et portait aussi des chargements jusqu’aux embouchures de la Somme et de la Seine. Une fois il remonta ce fleuve jusqu’à Paris ; son métier de marin le mit en rapport avec le doyen de la corporation des nautonniers parisiens qui avait une fille belle et sage ; mon aïeul l’épousa ; mon père naquit de cette union. Il fut marinier, j’ai fait le même métier ; ma vie a été jusqu’ici aussi heureuse qu’elle peut l’être en ces tristes temps. Deux malheurs seulement m’ont frappé : la mort de ma pauvre Marthe que j’ai perdue hier, et il y a trente ans, la disparition d’une fille, la première née de mes enfants; elle s’appelait Jeanike.

— Et comment a-t-elle disparu ?

— Ma femme, alors malade, avait confié cette enfant à l’une de nos voisines pour la conduire à la promenade hors de la Cité. Jamais nous n’avons revu ni la voisine ni ma fille.

— Heureusement les enfants qui vous restent ont dû rendre votre chagrin moins cruel, — reprit Gaëlo ; — et n’avez-vous pas eu de nouvelles de la branche de notre famille restée en Bretagne ?

— Hélas ! aucune; seulement j’ai su par un voyageur que la tyrannie des seigneurs bretons héréditaires sur ces hommes qu’ils appellent leurs sujets et qui autrefois étaient leurs égaux, s’augmente de plus en plus ; les prêtres catholiques dominent en maîtres dans l’Armorique. Cette double oppression me semble à moi encore plus inique que celle des Franks ; n’est-il pas odieux de subir l’oppression des hommes de notre race, de notre sang ? Aussi, ai-je comme mon père perdu tout espoir et tout désir de retourner en Bretagne !

— Eidiol, — reprit Gaëlo en ramassant le fer de la flèche que le