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joie sinistre, difficilement contenue, lorsque la porte se fut refermée, après l’entrée de ses voitures. Les fugitifs, dont les cours de l’abbaye étaient encombrées, s’agenouillèrent au passage des nonnes ; celles-ci, guidées par l’un des moines, se dirigèrent vers le parvis de la basilique, suivies de la foule, qui chantait en chœur cette prière, répétée depuis un siècle dans toutes les abbayes, dans tous les châteaux de la Gaule : — Seigneur ! ayez pitié de nous ! — Seigneur ! délivrez-nous des North-mans !— Seigneur ! exterminez ces maudits !

Le lugubre cortége, arrivant sous le portail de la basilique, y fut reçu par un des diacres ; il venait de revêtir à la hâte ses vêtements sacerdotaux. Des prêtres, portant la croix et les cierges, se tenaient derrière l’officiant, sombres, pâles, tremblants. Ils dirent les psaumes mortuaires avec une précipitation distraite, en proie à l’effroi que leur inspirait l’approche des pirates. Après ces premières prières, le corps, toujours porté par les nonnes sur le brancard de feuillage, fut introduit dans le chœur et déposé sur les dalles, non loin du lutrin. Un désordre inexprimable régnait dans l’intérieur de l’immense église : des moines, aidés de serfs, achevaient de déménager en hâte les ornements précieux de cette splendide basilique ; l’on voyait, rangées dans les transepts, ou bas côtés qui s’étendent de chaque côté de la nef, plusieurs cryptes, caveaux souterrains, au-dessus desquels s’élevaient les magnifiques mausolées d’un grand nombre de rois et de reines de la race de Clovis et de Karl-Martel ; Karl-le-Grand était enterré, lui, dans sa basilique d’Aix-la-Chapelle, dont les North-mans avaient fait une écurie. Les figures effarées des moines de Saint-Denis, leurs lamentations en emportant les ornements sacrés des autels, les chants de mort, répétés d’une voix sourde, pour le repos de l’âme de la supérieure, dont le corps venait d’être apporté dans l’église par les nonnes, les gémissements des nobles Franks et de leurs familles, réfugiés dans le saint lieu, augmentaient la terreur générale. La plupart des guerriers envoyés par le Comte de Paris pour la défense de l’abbaye avaient, plutôt par