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un éclair brilla dans ses yeux, mais se contenant, il reprit : — Comte, un dernier mot : mon grand-père a lu dans de vieux parchemins de famille qu’une petite colonie d’hommes de notre race, il y a de cela trois siècles et plus, vivait libre, heureuse dans un coin de la Bourgogne ; vint le temps où les Arabes, comme en ce temps les North-mans, envahirent et ravagèrent la Gaule...

— Et cette colonie de couards, — reprit le Comte avec un mépris courroucé, — cette colonie de lâches, tremblant devant les Arabes comme vous devant les North-mans, a laissé comme vous les païens ravager, piller, incendier le pays ?

— Comte, — reprit fièrement le vieillard, — les gens de cette colonie se firent tuer jusqu’au dernier en combattant l’étranger, parce qu’ils défendaient leurs droits, leur famille, leur sol, leur liberté ; mais comme cette poignée de vaillants étaient, sauf les indomptables Bretons, les seuls hommes libres de la Gaule, les Arabes ont pu ravager les autres provinces et s’établir dans le Languedoc. En ce siècle-ci, vois-tu, Comte, il en sera de même des North-mans : la population esclave dans les champs, opprimée, dégradée, misérable dans les cités, est indifférente, et souvent satisfaite à la rue des maux qui la vengent en vous frappant, vous, riches seigneurs ou prélats ; en deux mots, Roth-bert, retiens ceci : l’esclave, n’a pas de patrie ; seul, l’homme libre en a une et il sait mourir en la défendant ! Maintenant, adieu ; j’ai hâte de retourner à Paris pour embrasser ma femme et ma fille.

Le Comte, pendant qu’Eidiol parlait ainsi, avait dit quelques mots tout bas à l’un de ses officiers, qui sortit précipitamment. Le vieux marinier se dirigeait vers la porte, lorsque Roth-bert faisant signe à quelques-uns de ses guerriers de barrer le passage au vieillard, s’écria d’une voix menaçante : — Tu n’iras pas porter le trouble et la révolte dans ma cité de Paris en engageant le populaire à résister à mes ordres. — Et s’adressant à l’abbé : — Tu as ici une prison ?

— Oui, oui, — s’écria l’abbé, — et ses cachots ne seront jamais