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— Par la mort du Christ ! ce vieillard est insensé ! — s’écria le Comte de Paris en regardant l’abbé, qui leva les mains et les yeux au ciel en poussant un gémissement lamentable. Puis, Roth-berth ajouta en s’adressant à Eidiol : — Pouvons-nous donc nous défendre sans l’aide du populaire ? Est-ce avec deux mille guerriers que j’entretiens dans mon duché de France que je pourrai repousser trente mille North-mans ?

— Oh ! je le sais, je le sais ; vous ne pouvez rien sans le populaire ; aussi, je te l’ai dit, il y a vingt sept ans, ton frère, le Comte Eudes, épouvanté de l’approche des pirates, voulut, ainsi que toi, au jour du danger, amadouer ce populaire, pour lequel il n’avait eu jusqu’alors, comme toi, que mépris et dureté. Il convoque dans son châtelet de Paris les doyens des corporations d’artisans, et, comme toi encore, il les appelle ses chers vaillants, ses héros citadins… Mon père, doyen des nautonniers, répondit ceci à ton père, en langage figuré : « Nous autres, gens de rivière, nous nous connaissons en hameçons, nous ne mordons point au tien à l’aveuglette. Nous sommes écrasés de taxes : le comte prend nos culottes, l’évêque notre chemise, et le roi notre bonnet ; de sorte qu’il nous reste notre peau ; en d’autres termes, nous ne possédons rien. Qui n’a rien, n’a rien à perdre, et qui n’a rien à perdre n’a rien à défendre. Quant à vous autres, rois, seigneurs et gens d’église, vous avez besoin de nous, pour sauvegarder vos biens des pilleries des North-mans ; soit, faisons un marché : allégez nos taxes, rendez-nous la vie moins dure, et nous défendrons vos richesses. — Tope », dit le Comte Eudes. On convient de certaines allégeances et de certaines franchises pour la plèbe de la cité. Le lendemain, cette bonne plèbe, aussi crédule que brave, court aux remparts, se bat intrépidement ; grand nombre de gens sont tués, d’autres blessés, mon père et moi sommes de ceux-là ; les North-mans sont repoussés… Bon ! mais qu’arrive-t-il ? le danger passé, le roi, les seigneurs et les gens d’église renient leurs promesses, et rebâtent le po-