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lent tes violences de ce matin. Tantôt j’étais un vieux coquin, bon à jeter en prison ; me voici maintenant une manière de héros.

— Fortunat, — reprit le Comte en contraignant son dépit et s’adressant à l’abbé, — le bonhomme aime à plaisanter ; seulement il pourrait mieux choisir son temps ; il faut courir aux armes et non railler, lorsque ces maudits North-mans nous menacent !

— Eh ! eh ! pas si maudits, — reprit en souriant Eidiol. — Grâce aux North-mans tu me courtises ce soir.

— Trêve de raillerie, vieillard ! — s’écria Roth-bert, revenant malgré lui à son caractère hautain et violent ; — ne me fais pas regretter ma bonté !

— Deux mots seulement, Comte, et finissons ; j’ai hâte d’aller embrasser ma femme et ma fille. Écoute ceci: Il y a vingt-sept ans environ, l’année 885, les North-mans, sous la conduite d’Hastain, aujourd’hui maître et seigneur du pays Chartrain, venaient pour la cinquième ou sixième fois assiéger Paris.

— Cette fois, du moins, et ce fut la seule, la plèbe de Paris, sous les ordres d’Eudes, mon frère, résista courageusement, et les pirates ne ravagèrent pas la cité ; il en sera de même aujourd’hui ; car, j’en jure Dieu ! de gré ou de force, vilains ! vous irez aux remparts !

— Écoute encore : jusqu’à cette année dont tu parles, jamais Paris n’avait résisté aux pirates ; pourquoi cela, Comte ? Parce que le populaire, les corporations d’artisans, n’avaient eu souci de la chose.

— Oui, oui, — reprit Roth-bert avec une colère concentrée, — cette lâche plèbe laissait piller, ravager, incendier églises, abbayes et châteaux !

— Que veux-tu ? les North-mans ne pillent que les riches, et bien ils font. Iront-ils charger leurs barques de nos guenilles, de nos meubles grossiers, de notre vaisselle de grès, lorsque châteaux, églises ou abbayes regorgent de vases d’or et d’argent, de richesses de toute espèce... Donc ils pillent les riches ; c’est aux riches à se garder, à se défendre.