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une armure de mailles d’acier si fines, si souples, qu’on eût dit une brillante étoffe de soie grise ; cette espèce de tunique, échancrée à la naissance du cou, accusait les fermes contours de son sein et descendait jusqu’au-dessus des genoux, serrée aux hanches par un ceinturon brodé auquel pendaient d’un côté un cor d’ivoire, de l’autre une épée. La jambe de la belle Shigne se dessinait aussi sous une maille de fer ; elle chaussait des bottines de veau marin étroitement lacées jusqu’à la cheville. Cette guerrière avait déposé son casque à ses pieds ; ses cheveux d’un blond pâle, séparés sur son large front et coupés à la hauteur du cou, encadraient de leurs boucles son fier et blanc visage légèrement teinté de rose ; le froid azur du ciel du Nord semblait se réfléchir dans ses grands yeux bleus, clairs et limpides ; son nez aquilin, sa bouche sérieuse, hautaine, donnaient une expression austère à sa mâle beauté. Les Sagas avaient déjà chanté la bravoure de la belle Shigne, l’une des plus vaillantes parmi les vierges-aux-boucliers ou Sholdmoes, ainsi que disent les North-mans ; le nombre de ces guerrières était considérable en ces pays du Nord ; elles prenaient part aux expéditions des pirates, et souvent les surpassaient en courage. Rien de plus sauvage, de plus indomptable que ces fières créatures ; qu’on en juge par un trait choisi entre mille : Thoborge, fille du pirate Erik, jeune vierge-au-bouclier, belle et chaste, toujours armée, toujours prête à combattre, avait refusé tous les prétendants à sa main ; elle les chassait honteusement, les blessait ou les tuait lorsqu’ils lui parlaient d’amour. Sigurd, pirate renommé, attaqua Thoborge dans sa maison de l’île Garderig, où elle s’était retranchée avec ses compagnes de guerre ; elle résista héroïquement ; grand nombre de pirates et de vierges-aux-boucliers trouvèrent la mort dans cette bataille. Sigurd ayant grièvement blessé Thoborge d’un coup de hache, elle s’avoua vaincue et épousa le pirate (M).

Telle était la chasteté farouche de ces valeureuses filles du Nord : la belle Shigne se montrait digne de cette race. Orpheline après la perte de son père et de sa mère, tués dans un combat sur mer, la