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plorable entreprise à la voix toujours souveraine du parti prêtre, se rattache au principe des premières croisades.

De ces premières croisades vous allez juger, chers lecteurs, l’histoire en main, sinon vous hésiteriez à croire que les limites de l’horrible, du monstrueux aient pu être reculées à ce point jusqu’alors inouï dans l’histoire des peuples civilisés ou sauvages.

Pierre l’Ermite part des Gaules à la tête d’une multitude composée de soixante mille personnes, hommes, femmes et enfants ; pour se rendre à Jérusalem ; à moins d’être stupides ou insensés (et ils étaient les hommes les plus fourbes et les plus habiles du monde), les prêtres catholiques devaient savoir, et ils l’avaient prévu, qu’une pareille multitude partant sans provisions, sans ressources, sans argent pour un voyage de douze à quinze cents lieues, ne pouvant vivre qu’en pillant les pays qu’elle traverserait, finirait par se livrer à d’abominables excès et par en porter le châtiment ; en effet, voici ce que raconte la chronique de Guilbert de Nogent, historien contemporain des croisades :

« Le peuple qui suivait Pierre l’Ermite trouva en grande abondance, en Hongrie, toutes les choses nécessaires à la vie ; cependant, il ne tarda pas à se livrer aux plus énormes excès contre la population fort douce des indigènes. Les croisés mettaient le feu aux greniers publics, enlevaient les jeunes filles, et les livraient à toutes sortes de violences ; déshonoraient les mariages, ravissaient les femmes à leurs époux, arrachaient ou brûlaient la barbe à leurs hôtes, vivant de meurtre et de pillage. Tous se vantant qu’ils en feraient autant chez les Sarrazins. » (Liv. II, p. 64.)

Les populations étrangères exaspérées, répondirent à ces énormités des soldats de la croix, par une guerre à outrance, témoin cette lettre de Carloman, roi de Hongrie, citée par Albert, chanoine d’Aix, dans son Histoire des croisades. (Tome I, p. 47, ap. Mich.)

Lettre de Carloman, roi de Hongrie, à Godefroid, duc de Lorraine, qui s’était plaint du mauvais accueil fait à Pierre l’Ermite.

« Nous ne sommes point des persécuteurs de fidèles ; si nous avons montré de la sévérité et tué des chrétiens, c’est que nous y avons été poussés par la nécessité, ayant accordé à la première armée que Pierre l’Ermite conduisait, la permission d’acheter des provisions et de traverser paisiblement la Hongrie. Il nous ont rendu le mal pour le bien, en enlevant non seulement l’or, l’argent, les chevaux, les mules et la troupeaux de notre pays ; mais en ravageant nos villes et nos châteaux, en tuant quatre mille des nôtres et en les dépouillant de leurs vêtements. Après ces excès si injustement commis par les compagnons de Pierre l’Ermite, l’armée de Godescal, que vous avez rencontré fuyant, a assiégé Méresbourg, le rempart de notre royaume, dans l’intention de nous punir et de nous exterminer ; ce n’est qu’avec le secours de Dieu que nous avons été préservés. »

Alexis Comnène, empereur de Constantinople, effrayé de l’approche d’une autre troupe de ces furieux catholiques, qui, au nombre de vingt cinq ou trente mille (ils se comptaient plus de cent mille en quittant la Lorraine), s’avançaient sous les ordres de Godefroid, duc de Bouillon et de Basse-Lorraine, écrivait à ce noble seigneur :

« Alexis, empereur de Constantinople et de Grèce, à Godefroid de Bouillon et à ses compagnons :

» — Je vous supplie, prince très-chrétien, de ne pas souffrir que votre armée pille et dévaste le territoire soumis à ma domination et qu’elle va traverser ; partout elle pourra acheter ce dont elle aura besoin. »

Les futurs conquérants du tombeau du Seigneur, se composant en immense majorité de pauvres serfs en guenilles, étaient hors d’état de pouvoir rien acheter ; aussi, de même que les gens de Pierre l’Ermite, ils pillèrent et ravagèrent le pays sur leur passage, et furent aux trois quarts exterminés par les populations ; les survivants arrivent en Palestine, et, en proie à des maux affreux, ils commettent des atrocités sans nom. Quant aux débauches de la plupart des chefs laïques ou ecclésiastiques de la croisade, et de beaucoup de nobles dames qui accompagnaient leurs époux en Terre-Sainte, ces monstruosités dépassent les plus infâmes priapées de la Rome païenne. Ce n’est pas tout, l’anthropophagie souvent nécessitée par la famine devient un goût, mieux que cela, un acte presque méritoire aux yeux de certains prélats ; vous hésitez à nous croire, chers lecteurs ? Citons d’abord Albert, chanoine d’Aix à propos de l’horrible misère des croisés, dont souffrirent surtout les malheureux serfs attirés là par les promesses de l’Église.

« ......... La chaleur fit périr les chevaux et les bêtes de somme ; les cavaliers prenaient pour monture des bœufs, des béliers et des chiens beaucoup plus grands que ceux d’Europe.

» ......... Le dernier samedi du mois d’août le manque d’eau se fit sentir avec tant de violence, que plus de cinq cents personnes des deux sexes périrent ; les chevaux, les bœufs, les mules périrent pareillement. Des femmes enceintes, consumés par l’ardeur du soleil, le gosier desséché, accouchaient subitement en chemin, restant étendues auprès de leurs enfants. (p. 49.)

» .... Là, plusieurs chefs des croisés, séduits par la beauté des environs, résolurent de se donner le plaisir de la chasse. (p. 50.)

» ........ La disette était si grande que l’on amollissait du cuir avec de l’eau chaude, et on l’assaisonnait ; on mangeait ainsi les cuirs des harnais. — On payait dix fèves un denier ; une tête d’âne, de cheval ou de chameau dix deniers ; les oreilles de ces animaux deux deniers ; on mangeait jusqu’à sa chaussure. » (Ibid., p. 54.)

À défaut d’oreilles de chameaux ou de têtes d’ânes, on se nourrissait de chair humaine, et l’Église approuvait fort ces repas de cannibales, à la condition que le mangé fût un Sarrazin. Nous lisons ceci