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en grande troupe sur le territoire de mon seigneur Neroweg VI, comte souverain du pays de Plouernel ? — Puis, élevant davantage la voix et s’adressant aux habitants du village : — Serfs et vilains, écoutez mes paroles : Ceux d’entre vous qui auraient l’audace de vouloir suivre ces vagabonds auront sur l’heure les mains et les pieds coupés... Tremblez, misérables, si...

— Tais-toi, impie !... blasphémateur !... — s’écria Coucou-Piètre d’une voix tonnante, en interrompant le baillif ; — tu oses menacer des chrétiens qui s’en vont à la délivrance du tombeau du Seigneur !...

— Quoi ! scélérat enfroqué ! — reprit le baillif, bouillant de colère, en tirant son épée, — tu viens donner des ordres ici, dans la seigneurie de mon maître ! — Et ce disant, Garin-Mange-Vilain, poussant son cheval vers le moine, leva sur lui son épée ; mais Pierre l’Ermite para le coup à l’aide de sa lourde croix de bois, et en asséna un si rude coup sur le casque du baillif que celui-ci, un moment étourdi, laissa tomber son épée.

— À mort ce bandit qui veut couper les pieds et les mains des vengeurs du Christ ! — crièrent plusieurs voix ; — à mort !...

— Oui, à mort ! — crièrent les serfs du village décidés à partir pour la Terre-Sainte, et qui abhorraient le baillif. — À mort ! le Mange-Vilain, il ne mangera plus personne ! — Et Colas-trousse-Lard, qui pour conquérir le Saint-Sépulcre s’en allait à Jérusalem pieds nus, armé de sa fourche, l’enfonça dans le flanc de Garin, le renversa de son cheval, et en un instant, foulé aux pieds, le baillif fut massacré, mis en lambeaux ; les serfs lui brisèrent les membres, lui coupèrent le cou avec son coutelas, et Colas-trousse-Lard prenant au bout de sa fourche la tête livide de Mange-Vilain, éleva ce trophée sanglant au-dessus de la foule, et suivi des serfs qui abandonnaient le village, ils rejoignit à la troupe des croisés ; ceux-ci, se remettant en marche, chantèrent à pleine poitrine :

« — Jérusalem ! Jérusalem ! — ville des merveilles, — ville heu-